WILLERMOZ Expériences sur le sommeil




EXPERIENCES SUR LE SOMMEIL

(Extrait des compte-rendus)


Du 30 mars 1785. - Présents : MM. le Doyen et Willermoz.

M. Willermoz ayant été appelé hier pour assister au sommeil de ce jour, s'est chargé de le rédiger par écrit, ce qui a été applaudi. C'est donc comme rédacteur et témoin qu'il a tracé les tableaux des sommeils suivants.

Ce 30 mars, à 7 heures du soir, Mlle R..., mise en sommeil et les prières finies, elle a vu les saints patrons de M. le Doyen, les siens propres, et les deux bons anges de tous deux.

On ne parlera plus des deux anges et des saints patrons, parce que cette vision est ordinairement la première dans tous les sommeils.

On ne parlera plus que de la présence des êtres bienheureux qui ne sont pas toujours les mêmes et qu'elle distingue essentiellement des saints, comme formant une classe distincte et inférieure.

Elle voit de Pizay toujours étendu en face d'elle en pente et le visage couvert d'étoiles, ayant à sa droite l'oncle Castellas et à sa gauche sa soeur Marguerite, tous deux à genoux. Elle voit pour la première fois un être bienheureux qui lui est inconnu, qui est placé debout vers la tête de de Pizay et qui lui parait être un parent de M. Willermoz parce 'qu'il le regarde avec beaucoup de plaisir et d'intérêt ; il a une langue de feu sur la tête.

Un petit ange vient de présenter à de Pizay un petit rouleau de papier qui est gros comme un doigt. Tous les êtres bienheureux qui sont présents sont entourés de lumière et lèvent les yeux eu ciel... Elle voit trois rayons brillants qui partent du sein de de Pizay et viennent aboutir sur nous trois. Le rayon à droite est venu sur M. le Doyen et s'en est ensuite retourné et fixé sur sa soeur ; le rayon du milieu est venu sur Willermoz et s'en est ensuite retourné et fixé sur de Pizay.

Elle voit l'oncle de M. le Doyen et sa soeur qui relèvent de Pizay chacun par un bras et le parent de M. Willermoz qui lui soulève la tête.

Le petit rouleau de de Pizay se déploie à présent.

Elle y lit ce qui suit : « Console un être dont l'âme s'élève à Dieu et dis-lui que l'être que tu vois là, et qui t'était inconnu, c'est son père. » (Claude-Catherin Willermoz).

Le rouleau est attaché avec des petits fils d'or que de Pizay défait chaque fois qu'il veut me faire lire une ligne.

« Ah ! s'écrie-t-elle, le père de M. Willermoz va baiser avec grande joie les pieds de de Pizay. » Elle continue de lire ce qui suit :

« Dis à mon ami (à Willermoz) dont le père lui tend les bras, que je l'attends ainsi que vous deux, et quelques-uns de sa famille.. »

Elle a dit d'elle-même : « II y avait sur ce rouleau plusieurs, mais d'abord que je l'ai eu prononcé, un petit ange est venu effacer ce mot et a mis à la place quelques-uns.

« Oh ! mon Dieu, que votre père est content ! »

Elle a continué à lire ce qui suit :

« Oui, je vous le répète, je vous attends tous deux (M. le Doyen et R...). Souvenez-vous des engagements que vous avez pris, des promesses que vous avez faites à Dieu. Oui, vous ramènerez quelques-uns des vôtres et plusieurs autres qui connaîtront dans quelque temps les lumières qui vous sont envoyées de cette vie bienheureuse. Ah ! reconnaissez votre Dieu ! Ah ! reconnaissez cet Etre Suprême ! Qu'il soit toujours imprimé dans votre coeur. Tremblez, mes amis, tremblez, si vous perdez de vue ce que vous avez promis à Dieu. Priez avec ferveur, vos prières seront écoutées. Ah ! retirez vite ces âmes qui vous tendent Ies bras, sortez-les de ce lieu de souffrances, pour venir rendre à Dieu les louanges qui lui sont dues, hâtez-vous donc de le faire... » - Elle a ajouté d'elle-même :

« Ces âmes prieront ensuite pour nous... Ce n'est pas écrit ce que je viens de dire, c'est une réflexion qui m'est inspirée, qui s'est détachée du rouleau pour venir sur mon sein... »

« Ah ! voyez ma mère avant quinze jours ; dites à votre ami (M. le Doyen) de lui serrer la main ; qu'il lui fasse sentir quelques étincelles de ce qu'il ne peut lui dire. Ah ! Heureuse ! encore heureuse ! Oui, tu portes sa conversion et le bonheur de ton ami, la consolation de ceux qui entendront ce qui t'est inspiré ; mais ne le perds jamais (de vue) ce grand Maître qui vous comble, mains unies, de grâces et de lumière. Profitez-en, mes chers amis, et venez vite prendre possession de cette jouissance. »

Elle a dit ensuite : « Je vois la Sainte Vierge, saint Jean-Baptiste et saint Jean l'évangéliste... La Sainte Vierge est remontée. Saint Jean-Baptiste a fait plusieurs fois une petite croix sur mon ventre, il en restera une raie violette (petite) que je pourrai voir étant réveillée. Saint Jean I'évangéliste qui doit être le patron de mon enfant était à côté de mon ventre. »

Après les prières d'actions de grâces, M. le Doyen lui a ouvert les yeux à neuf heures.

M. le Doyen ayant été incommodé hier d'une fluxion très considérable sur les deux yeux, les neiges abondantes et la rigueur excessive du froid ne lui permettant pas d'aller chez Mlle R... au traitement, il l'a fait venir en son hôtel où se trouvait un appartement libre pour quelques semaines qu'elle a occupé jusqu'au 21 avril d'où elle vint ledit jour 21 habiter chez M. Willermoz, aux Brotteaux, jusqu'au 2 mai, en attendant qu'un appartement arrêté pour ses couches vers Saint-Côme fût libre. Il le fut le 1er mai, elle alla l'occuper le 2.


Du 2 avril, 8 heures du soir. Présents : M. le Doyen et M. Willermoz.

 Mlle R..., mise en sommeil, elle a eu la vision ordinaire des bons anges, saints patrons et êtres bienheureux du sommeil précédent. Mon père, toujours placé à la tête de de Pizay, lui présenta d'un air content un petit rouleau sur lequel elle lut et dicta ces mots adressés à elle-même : « Il y a longtemps que je passe devant vous sans que vous ayez pu m'apercevoir. »

Sa lecture fut interrompue par une ombre noire qu'elle vit arriver par son côté gauche, faisant effort pour s'approcher de mon père, qui lui parut tout attristé en la voyant. R... fut fortement émue de ce spectacle, elle garda le silence et le rompit en s'écriant : « Ah ! Monsieur Willermoz !... Cette ombre noire c'est votre mère. Ah ! qu'elle souffre et depuis longtemps ; elle a été bien oubliée cette pauvre femme ! Elle me fait pitié. »

Je suis resté fortement ému en recevant cet avis sur ma mère. « J'aimais tendrement ma mère, ai-je dit, j'ai prié pour elle pendant plusieurs années, mais je conviens que je l'ai bien négligée depuis, et je me le reproche amèrement. »

R... - Vous avez bien quelques petits reproches à vous faire là-dessus, mais il ne faut pas vous en faire trop, cela a été permis ainsi.

M. Willermoz. - Ma mère est morte le 6 mai 1756. Elle était pieuse, elle a eu beaucoup de peines et de chagrin. J'espérais qu'elle avait trouvé grâce.

R... - Eh ! non, non, Dieu ne juge pas comme les hommes ; elle souffre encore.

W... - Puis-je espérer de connaître ce que je pourrais faire pour son soulagement et sa délivrance.

R... - J'espère bien qu'on me le fera connaître, mais je ne vois pas encore quand ce sera.

W... - Le sort de ma mère (+ 1756) me fait penser à celui de trois de mes soeurs : Marguerite (+ 1749), Jeanne (+ 1758) et Magdelaine (+1764), qui sont mortes depuis bien des années Pourrais-je recevoir quelque lumière sur leur état ?

R... - Eh ! mon Dieu ! les voilà toutes les trois, avec leur mère ; je les vois à présent, elles sont aussi des ombres noires. ; elles voudraient approcher de leur père, qui leur tend les bras mais elles ne le peuvent pas.

W... - Puis-je faire quelque chose pour leur soulagement ?

R... - Je crois bien que oui ; mais pas sitôt ; il faudra travailler pour votre mère avant elles ; en attendant, vous ferez bien de relatifs à elle et à M. le Doyen... Après quoi, elle dit :

« Tout a disparu, il faut m'ouvrir les yeux. Monsieur Willermoz, viendrez-vous ici demain soir pour le sommeil ? »

Je répondis que j'y viendrais. « Eh bien, venez, dit-elle. »


Du 3 avril 1785

Le 3 avril, je fus occupé très sérieusement auprès de Marion, qui se préparait à une confession générale, jusqu'à 9 heures 1/2 du soir. Je crus que j'arriverais trop tard pour le sommeil de Mlle R... De plus, il faisait très grand froid et il neigeait fortement. Je me retirai en droiture chez moi, aux Brotteaux. J'appris le lendemain par M. le Doyen que lé sommeil avait eu lieu, mais qu'il avait été privé des choses intéressantes à cause de mon absence, que j'avais été blâmé de n'y pas venir après avoir promis la veille que je viendrais, que je ne devais pas promettre si légèrement et que j'étais assigné à assister au sommeil du surlendemain 5 avril, si j'étais libre ce jour-là.


Du mardi 5 avril 1785

Mlle R... étant en sommeil et les prières finies, à 8 h. 1/4, elle a eu la vision ordinaire, ensuite celle de l'oncle Castellas, de sa soeur, de de Pizay toujours couché, et de mon père qui lui tient la tête ; elle a vu ensuite à une plus grande distance le père de M. le Doyen qui est tout récemment délivré par ` les prières qu'elle avait prescrites ci-devant pour lui.

Elle m'a blâmé d'avoir manqué d'assister au sommeil du 3, ayant promis la veille d'y venir, et m'a recommandé de ne jamais promettre quand je ne suis pas sûr de tenir ma promesse et de ne promettre que ce qui ne contrarie pas mes affaires. On ne m'impute pas à faute mon manquement du 3, mais il est pour moi et pour d'autres l'occasion d'un avis salutaire.

... Elle a poussé en silence quatre grands soupirs et s'est écriée :

« Ah ! mon Dieu ! les voilà toutes les quatre devant moi... (la mère et Ies trois sœurs de M. Willermoz qui souffrent encore dans le Purgatoire). Oui, oui, vous aurez les prières que vous demandez. L'une se jettera dans les bras d'un époux et les trois autres dans ceux d'un père « Les bras du père Willermoz lui tombent ; il remercie tous les saints personnages. Il leur dit : « Oui, c'est vous qui m'avez rapproché de cette âme « que Dieu protège. (Ah ! mon Dieu, en disant cela, il se précipite sur moi !) Je rapprocherai de « moi cette épouse chérie. »... Ah ! le père de M. le Doyen se précipite aussi dans mes bras ! Elle mène aussi ses enfants qui sont aussi des ombres noires, mais elles ne sont pas si noires que les quatre autres »

 Fortement émue de ce qu'elle voyait, elle se livre à de véhémentes exclamations, à des prières ardentes, aux plus vifs transports d'amour de Dieu et de repentir de ses fautes, répandant abondamment des larmes. Cette scène a été trop vive, trop touchante, pour pouvoir être saisie par écrit ; on en a seulement saisi les traits suivants, pour en désigner un caractère particulier:

« C'est donc ici, dit-elle, que je devais trouver mon salut, tout m'y appelait. Ah ! ces deux Pères !..: Ah ! mon Dieu ! c'est moi qui suis coupable, j'aurais dû venir ici plus tôt, puisque c'est par moi que ces âmes devaient être délivrées. Oui, mon Dieu, je vous prierai tant, tant pour elles, que l'on obtiendra la délivrance, etc., etc., etc. »

Mlle R... continue : « Ah ! voilà encore ces quatre ombres qui reviennent à lui. Ah ! que ne pouvez-vous voir ce que je vois, vous en seriez bien touchés. Ah ! Seigneur ! Vous vous en ressouviendriez toute la vie... Séjour céleste ! Palais glorieux ! Oui, les portes en sont ouvertes et il ne tient qu'à nous d'y entrer et nous nous en éloignons. Oui, dès le moment de notre naissance, noua en avons eu la connaissance et noua l'avons repoussé... Ah ! ces deux pères, avec quelle tendresse ils voient leurs enfants !.. »

Après un long silence entrecoupé de soupirs, elle a dit : « Monsieur Willermoz, il faut faire dire samedi 9 avril une grand'messe pour le soulagement de votre mère dans l'église où elle a été enterrée, autant que cela se pourra. On me fera connaître au premier sommeil où vous ferez les autres prières qui seront nécessaires pour obtenir sa délivrance. On me fera connaître en même temps les prières qu'il faudra faire faire pour la délivrance de vos trois soeurs ; mais il faut que votre mère soit entièrement délivrée avant de faire commencer les prières pour vos soeurs, parce qu'alors votre mère y aidera aussi. »

D’après quelques éclaircissements que j'ai demandés, il a été arrêté que je ferai célébrer la messe haute pour ma mère, samedi 9 avril à 11 heures du matin en l'église de Saint-Nizier, paroisse et lieu de la sépulture de toute ma famille, et ceux de mes amis que j'y inviterai sans leur dire d'où me vient ce conseil, et que je l'y inviterai elle-même d'ici là en réveil...

Il m'a été permis de lire le sommeil de ce jour à Mme Provensal, ma soeur... J'ai demandé si elle pourrait recevoir en sommeil mon frère médecin qui connaît son état de sommeil et de grossesse et qui lui donne ses soins.

Elle a répondu qu'elle pourrait le recevoir, mais qu'il faut auparavant que je m'assure de sa confiance pour cet état, de la fin de ses doutes, et qu'il ne varie plus dans cette confiance.

N. B. - Mlle R... nous a souvent dit que tes êtres bienheureux qu'elle voit jouissent pleinement et sans mélange de leur béatitude et que les signes de tristesse, de larmes, etc., dont ils lui présentent les tableaux sont des figures pour nous faire connaître les sentiments de leur charité.


Du jeudi 7 avril 1785. - Présents : MM. le Doyen et Willermoz.

Dans cette journée, M. le Doyen a eu une première conversation avec Mme de Pizay mère, et a commencé à l'intéresser en faveur de Mlle R..., ce qui explique la joie de son fils (qui avait exprimé le désir de sa présence).

A 10 h. 1/2 du soir, les prières ordinaires étant finies, R... en sommeil et couchée a dit avec vivacité et joie : « Je vois devant moi une grande porte ouverte et par cette porte je vois un bel appartement bien éclairé d'une grande et belle clarté... Ah ! voilà nos saints patrons qui sortent par cette belle porte et viennent vers nous... Voilà aussi votre oncle et ma soeur, Ah ! Monsieur le Doyen, voilà votre soeur qui est délivrée par les prières que nous avons finies aujourd'hui pour elle... (Grandes exclamations et transports de joie.) Ah ! qu'elle est blanche ! Elle a le visage tout couvert d'étoiles ; votre père la conduit... Elle s'approche de moi. Ah ! qu'elle est heureuse ! Qu'elle est contente !... Ah ! voilà de Pizay ! Il est bien content aujourd'hui, il ne pleure pas... Il montre la maison de sa mère, il vous remercie, Monsieur le Doyen, et moi aussi, de ce qui s'est fait aujourd'hui... Ah ! voilà le père de M. Willermoz... Monsieur le Doyen, voilà une femme qui vient... Il y a une place vide à côté de votre soeur... Il y a aussi des places vides à côté du père de M. Willermoz. Elles se rempliront bien ces places, mais pas si tôt... Voilà votre mère qui vient avec cinq petits enfants et trois petits anges... (Sur cela M. le Doyen a dit qu'il a en effet huit frères ou soeurs qui sont morts les uns jeunes et d'autres en très bas âge)... Le père de M. Willermoz les regarde tous d'un air content... Il verse des larmes à présent parce qu'il voudrait voir aussi ses enfants auprès de lui... Il cherche quelque chose en sa poche... Il a toujours une ombre autour de lui... Il tire son petit rouleau... Il en déplie un petit morceau, mais il est tout blanc. Il veut qu'on relise ce qui a été écrit la dernière fois. »

J'ai relu ce qui a été dicté dans le sommeil du 5.

(Ensuite, Mlle B... a vu M. Willermoz père, vers lequel s'avançait un prêtre qui était son frère, oncle de J.-B. W... Le père de ce dernier lui a dicté sur le rouleau:)

« Dites à mon fils qui vous entend et à celui qui vous sert et vous servira de père. Comme si c'était mon frère le prêtre que vous voyez là qui la dise lui-même... Oui, c'est cette messe qui commencera à ouvrir cette porte que vous voyez à ces âmes (la mère et les trois soeurs de J.-B. W...), et à les rapprocher de moi... Dites à mon fils qui ne peut pas voir ce que vous voyez, qu'il dise à toute ma famille, au moins à tous ceux qu'il croira dignes de l'entendre, qu'ils entendent cette messe comme s'ils la voyaient dire à leur oncle. » (Puis Mlle R... ajoute d'elle-même :) « Oui, le prêtre qui la dira représentera votre oncle... Oui, il y sera... Oui, vous le saurez que vous avez là un oncle à cette messe... (D'un air très affligé ! Et moi, je ne le saurai pas. »

En prononçant ces derniers mots, elle est tombée à la renverse sur son oreiller et a gardé un long et triste silence. Elle a dit : « Le prêtre se retourne de mon côté avec un papier à la main sur lequel il me dit : « 0 vous qui priez avec tant de ferveur ! ne vous alarmez pas ; Dieu me permet dès cet instant d'assister à toutes les messes que vous ferez dire pour vous et pour ceux qui vous intéressent. »

« Monsieur le Doyen, continue Mlle R..., le prêtre vous parle aussi, il vous dit : « Oui, je prierai aussi « pour vous et vous vous en apercevrez... »

« Monsieur Willermoz, votre oncle va vers vous... Il vous tend les bras avec un grand cri. Ah ! il vous embrasse... Il retourne vers son frère... Il est habillé comme s'il allait dire la messe : il est en chasuble noire,

« Monsieur Willermoz, votre père est là. Ah ! la joie est bien sur ses lèvres... Messieurs, il faut relire tout ce qui a été écrit aujourd'hui. »

J'en ai fait la lecture. Ensuite elle a dit :

« Le prêtre s'en va, mais je le reverrai demain... Il y a là trois petits enfants qui lui venaient au-devant et qui s'en retournent avec lui.

N.B. - J'ai eu deux frères et une soeur morts dans l'enfance : Louis à trois ans, Baptiste-Claude à cinq ans, et Marie à trois ans.)

« A présent (continue Mlle R...), voilà une liste que votre père tient à la main pour nous faire connaître la quantité des messes qu'il faut faire dire pour votre mère (grand'messe de Requiem, plus six messes basses), et pour vos trois soeurs (Magdeleine, quatre messes basses ; Marguerite, trois ; et Jeanne, deux), non pas ensemble, mais chacune à son tour et l'une après l'autre. »

Nous ne sommes pas obligés d'assister à toutes ces messes, mais il faut qu'au moins un de nous trois (mes frères Pierre-Jacques et Antoine ou moi-même) assiste à chaque messe. En quelle église que ce soit, notre oncle prêtre assistera à toutes ces messes et y sera représenté par le prêtre qui les célébrera.

N. B. - L'église où les personnes sont enterrées est toujours préférable pour les messes à célébrer pour elles.

Interrogée par M. le Doyen pour connaître ce qu'il doit faire à l'égard de la jeune fille Novelet, âgée de 13 ans, qui, ayant été guérie subitement par ses soins magnétiques, au traitement social de la Société, d'une perte absolue de mouvement dans les jambes qui depuis près d'un an ne lui permettait pas de se soutenir un seul instant sur ses pieds, est maintenant affectée d'autres incommodités récentes pour lesquelles on réclame de nouveau les soins de M. le Doyen, elle a répondu « Elle est bien malade et de toute manière ; elle ne croit à rien ; il lui faudrait quelqu'un de votre petite Société (des 12 .+.) qui pût la suivre, et un an ne suffirait pas ; il faudrait qu'elle ne fût jamais entourée que de personnes qui lui parleraient des choses de Dieu et cela ne se peut pas ; elle dit oui ; elle dit non ; elle ne croit à rien de ce qu'on lui conseille de bon ; ce serait du temps perdu ; laissez-la ; vous pouvez mieux employer votre temps qu'auprès d'elle... Monsieur le Doyen, vous pouvez essayer par grâce de la magnétiser encore trois fois ; c'est une grâce que je demande à Dieu pour elle, mais vous verrez qu'elle n'en profitera pas. »

Nous lui avons demandé comment elle lisait sur les rouleaux et autres papiers écrits qui lui sont présentés en sommeil par les êtres bienheureux. Elle a répondu : « On me fait voir par inspiration les pensées de ces bienheureux qui sont en écrit sur ces rouleaux et on me dit qu'il faut vous les répéter comme je le sens, à ma manière, dans le langage et les termes qui me sont familiers ; à mesure que je vous les répète, on me fait signe que je dis bien. Quand vous ne me comprenez pas bien, il faut me faire expliquer mieux, afin que je cherche d'autres mots. »

A 1 heure après minuit, M. le Doyen lui a ouvert les yeux.


Du vendredi soir, 8 avril 1785.

N. B. - Ce sommeil est devenu très mémorable, étant celui qui a procuré essentiellement la délivrance des fausses images auxquelles elle a été exposée ci-devant et particulièrement dans les mois précédents. R... était couchée, mise en sommeil par M. le Doyen, les prières ordinaires étant finies, Willermoz étant présent.

A 10 h. 1/4 du soir, ayant déjà la vision des saints anges, les saints patrons ont paru ainsi que l'oncle de M. le Doyen, la soeur de R..., le père de M. le Doyen, et de Pizay couché. Elle en voit venir beaucoup d'autres, notamment la mère de M. le Doyen et ses enfants ; puis, à 10 h. 1/2, mon père, placé à la tête de Pizay. Il a, dit-elle, l'air content et les a tous regardés avec satisfaction en arrivant... Elle ne voit point aujourd'hui la grande belle porte qu'elle a vue les jours précédents, mais elle voit devant elle une éclatante lumière toute ronde comme le soleil, qui répand de tous côtés un rayon particulier sur la tête de chacun des saints patrons et d'autres rayons sur le coeur de chacun des êtres bienheureux... Mon oncle Willermoz est revêtu d'une chasuble qui est blanche du côté de la lumière et noire de l'autre côté... Mon père et mon oncle se parlent... Ils se prosternent devant la lumière... Ils se relèvent. Ils s'assoient... Il y a beaucoup de petits anges... Ils sont bien dix-huit... Ils portent une petite chaire... Le prêtre Willermoz y entre... Tous les autres se tournent du côté de lui qui est dans la chaire, et sont assis comme pour l'écouter... Le prêtre sort de sa poche un petit rouleau, il semble qu'il va prêcher, mais il a gardé sa chasuble blanche et noire comme s'il allait dire la messe... Il se met à genoux... Il se relève... Il déploie son petit rouleau... Il veut qu'on relise ce qui fut écrit hier... (Je le relis.)

A 11 heures, après cette lecture, elle a fait plusieurs grands soupirs et a dit d'une voix étouffée :

« Monsieur Willermoz, depuis que vous avez commencé à lire, j'ai votre mère, vos trois soeurs et le frère de M. le Doyen sur moi... Ah ! qu'ils me serrent fort... (Elle paraît fort oppressée.) Non, non, ce n'est pas votre poids qui me fatigue tant ; c'est votre souffrance... Oui, vous serez bientôt heureuses... Ne vous soulevez pas, restez sur moi, ce n'est pas votre poids, vous dis-je, qui me fatigue... Vous ne pouvez pas me parler, je vois bien que vous en avez la volonté... Ah ! monsieur le Doyen, que votre frère me serre... La mère de M. Willermoz se couche sur mon estomac... Ah ! qu'elle se réjouit du jour de demain. » (Jour de la grand'messe.)

En silence et fort oppressée, elle appuie son crucifix sur tous ces êtres à sa droite, à sa gauche et sur son estomac ; elle paraît souffrante et remplie de compassion pour eux.

« Monsieur Willermoz, dit-elle, votre mère et votre soeur Magdeleine me serrent du côté droit, vos deux autres soeurs me serrent du côté gauche... Ah ! voilà encore un de vos parents, il est tout entouré de flammes... Il se jette à terre sous la chaire du prêtre... Il implore tous ces bienheureux... (avec effroi) Ah ! il vient à moi... (grands cris perçants). Ah ! mon grand-père et ma grand'mère qui viennent aussi... Ah ! que cela me pèse bien fort ! Ils sont sept sur moi et encore sans compter celui qui s'est couché sous la chaire du prêtre. Quand il faut que je parle, ils se soulèvent pour me laisser parler ; il n'est pas permis à ceux de la famille de M. Willermoz de parler à son père, voilà pourquoi ils restent sur moi afin que je vous répète tout ce que je vois pour vous émouvoir.

« Messieurs, il faut que vous instruisiez ceux qui ne suivent pas la bonne voie. Ah ! Dieu vous en donne les moyens. Malheur à vous si vous ne le faites pas... Ah ! nous craignons de déplaire à ce monde infâme et méchant et nous ne craignons pas de déplaire à Dieu qui est si bon, de qui nous tenons stout ce que nous sommes... Non, non, tristes âmes, ne craignez pas de rester sur moi ; ce crucifix que je tiens se tourne dans ma main, et c'est pour vous, sentez-le. »

En disant ces mots, elle a appuyé son crucifix sur chacune de ces âmes souffrantes et le leur a fait baiser.

« Elles s'en retournent, ajoute-t-elle, ces pauvres âmes, sans oser regarder leur père Willermoz, parce que Dieu ne le leur permet pas.

« Celui qui était couché sous la chaire se lève... (d'un ton très ému) Il vient... Il vient... Il vient... Il est tout en flammes... (grand cri) Ah ! il tombe suie moi ; il me pèse plus que tous Ies autres ensemble... Voilà une de ces flammes qui vient jusqu'à ma main... (cri d'étonnement et de douleur) Ah ! monsieur Willermoz, c'est encore un oncle à vous celui-là, un frère à votre père... Ah ! qu'il souffre ! Ah ! qu'il me fait mal là ! (en montrant son estomac). »

A cette annonce, j'ai reconnu mon autre oncle paternel Claude-Henry, mort à Lyon, après une longue et cruelle maladie de plusieurs années. Il était pieux et très exact dans ses devoirs de religion ; son caractère était impérieux et despotique chez lui, s'offensant aisément de tout ce qui le contrariait, et fort rancuneux.

J'ai dit à R...: « Je le croyais plus heureux celui-là..» R...: « Non, il est plus souffrant que les autres ; il lui a été seulement permis de se jeter sous la chaire où est son frère le prêtre ; mais il ne lui a pas été permis de regarder ses frères. Ah ! qu'il souffre et qu'il a encore à souffrir. »

J'ai répliqué : « Il avait beaucoup souffert ici et bien longtemps, et même il paraissait souffrir bien patiemment. »

R...: « C'est ce qui vous trompe, les hommes ne voient pas les plaintes, les murmures secrets, les méfiances comme Dieu. Il avait reçu bien des grâces, mais il en a perdu le fruit. Une seule méfiance envers Dieu, un seul moment mauvais suffit pour tout perdre. Ah ! qu'il en fait bien la terrible expérience.

« Messieurs, prenez bien garde à ce qu'on vous dit : Dieu a tout fait pour vous ; il veut bien encore se servir de nous (crisiaques) dans cet état pour vous ramener à lui. Nous en perdons la mémoire, nous, mais pour vous, vous recevez une entière connaissance de tous ces objets frappants ; ils vous étonnent et souvent on les méprise ; mais malheur à ceux qui, les ayant compris, les méprisent, les oublient, qui tournent le dos à de si grandes grâces et négligent d'en faire leur profit ; tout cela se paiera bien quand le temps en sera venu. Le bon Dieu nous présente à nous tous les tableaux qui peuvent vous frapper le plus ; il les arrange selon votre faiblesse, il les présente à moi et il me dit : Tiens, voilà pour eux, dis-le leur...

 « Ah ! que nous sommes insensés, nous négligeons la seule affaire qui soit nécessaire au monde pour nous livrer à toutes les autres affaires de ce monde infâme et trompeur auquel nous sacrifions tout pour nous perdre. Mon Dieu ! quel aveuglement ! quelle folie ! »

 Après ce début, elle nous a fait pendant vingt-huit minutes, sans aucune interruption, un sermon rempli d'énergie et d'onction, des peintures les plus effrayantes et les plus touchantes de l'enfer et des autres lieux de souffrance, du malheur de ceux qui ne peuvent plus aimer Dieu, qui ont sacrifié sur la terre leur salut à leurs folles passions, à leurs vices, à leurs caprices, à l'amour de l'argent, des honneurs, au désir de parvenir, aux injustices, aux tromperies qu'ils ont faites pour y réussir, à l'hypocrisie qu'ils ont employée pour se faire estimer en trompant les autres sans pouvoir se tromper eux-mêmes, et principalement à l'orgueil qui leur a fait rejeter et mépriser les bons avis, conseils et exhortations qui leur ont été donnés pour leur aider à se tirer du bourbier.

De ce tableau effrayant, elle a passé à un tableau touchant et sublime de la bonté et de l'amour de Dieu pour les hommes, du bonheur éternel de ceux qui auront bien vécu sur la terre, qui auront pratiqué les vertus que Dieu leur a fait connaître pour les pratiquer, qui auront mis toute leur confiance en lui, qui auront supporté tous les maux et les contradictions avec patience pour lui plaire.

Elle a fait ce sermon avec tant de véhémence, de chaleur et de rapidité qu'il n'a pas été possible d'en retenir par écrit une seule phrase.

A la fin elle a dit : « Le voilà le sermon que fait ici le prêtre qui est dans la chaire, afin que voue l'entendiez. Malheur à vous si vous n'en profitez pas et si vous n'en faites pas profiter tous ceux en qui vous verrez une petite bonne volonté... Ah ! on craint l'enfer, on ne veut pas aller en enfer ; je le crois bien, mais on ne veut pas faire ce qui délivre d'y aller. Non, non, ce n'est pas l'enfer que je crains ; il ne sera jamais assez terrible pour me consumer, si je le mérite ; mais c'est l'amour de Dieu que je n'ai pas, que j'ai perdu. Voilà tout ce que je crains, voilà ce qui est cent fois pire que l'enfer. Dites-moi bien cela quand je serai éveillée ; dites-le-moi souvent, répétez-moi bien toutes ces grandes vérités que vous venez d'entendre et n'y manquez pas. »

Elle avait adressé quelques parties du sermon à M. le Doyen personnellement, à cause de quelques négligences, impatiences et dégoûts auxquels il s'était livré ce jour-là, qu'elle lui avait reprochés dans le sommeil d'une manière remarquable. Il en était tout attristé ; elle lui dit :

« A présent que Dieu me le permet, je peux vous expliquer comment j'ai lu ce sermon. Pendant que je vous parlais, le prêtre Willermoz me présentait sur son rouleau ce qu'il fallait dire ; je m'arrêtais lorsqu'il repliait ce que je venais de dire et je connaissais dans ses yeux qu'il trouvait que j'avais bien dit comme il voulait ; ensuite, il déployait son rouleau pour que je pus vous dire ce qu'il y avait encore à dire. Je ne lisais pas, mais j'étais inspirée sur tout ce que j'ai dit comme si je l'avais su, et on trouvait que je vous le rendais comme il faut. Ah ! nous aurons bien d'autres sermons à recevoir, car nous n'en avons que trop besoin. »

A minuit, après plusieurs reproches qu'elle s'est faits à elle-même sur sa vie passée, elle s'est écriée :

« O mon Dieu ! Vous aviez tant de raisons de m'appeler ici ; c'est donc ici que vous vouliez me faire connaître le chemin du ciel et vos saintes vérités. Oui, c'est ici, je le vois à présent et vous voulez bien vous servir de moi pour en éclairer tant d'autres. Oui, Dieu m'a mis dans vos mains pour me faire trouver mon salut, pour me faire trouver le vôtre et celui de plusieurs autres. Le nombre en est encore petit, mais il deviendra plus grand, je l'espère... Non, je ne veux plus rien du Inonde ; je m'y suis trop attachée, je ne veux plus que mon Dieu... mon Dieu, envoyez-moi toutes les souffrances, toutes les humiliations que vous voudrez, je les accepte toutes ; oui, je vous les demande... Oui, je les désire pour vous plaire, pour réparer ma vie passée... Ah ! quand je suis dans un autre état (en éveil), je crois n'avoir que de petites fautes à me reprocher, mais dans l'état où je suis à présent, vous me faites connaître combien elles sont énormes, combien je m'abuse ; vous me les faites connaître pour m'en repentir... O monde infâme ! O perfide ! Je te foule aux pieds..

« Monsieur le Doyen, répétez-moi bien le sermon d'aujourd'hui, ne me faites point grâce sur mes défauts. Messieurs, vous y êtes tous obligés ; niais ne me parlez jamais des grandes grâces que je reçois dans cet état ; vous m'eu donneriez de l'orgueil ; ce serait un grand malheur et peut-être irréparable ; vous perdriez tout et je me perdrais.

« Il semble que tous ces bienheureux qui sont là, sont sans mouvement, ils sont tous arrêtés et les yeux fixés au ciel... Ah ! tout s'arrange... Saint Jean... Saint Claude... Monsieur Willermoz, est-ce que vous avez quelqu'un dans votre famille qui s'appelle : Claude P »

Willermoz : « Oui, mademoiselle, c'est le patron de mon père. »

R...: « Ah ! C'est donc cela. Eh bien ! ils nous donnent tous les trois ensemble leur bénédiction ; recevons-la bien. »

Nous nous sommes recueillis pour la recevoir.

M. le Doyen était tout attristé des fautes de la journée qu'il se reprochait et qui lui avaient été reprochées comme considérables. II lui en a témoigné alors son inquiétude et ses regrets... Elle lui a dit que ses patrons venaient de lui obtenir de Dieu le pardon de ses fautes de cette journée, qu'il restât donc tranquille en s'observant mieux à l'avenir et que le sommeil d'aujourd'hui était un sommeil de grandes grâces pour tout le monde....




LE MIROIR ALCHIMIQUE

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