Le duc de Chartres (futur Philippe-Egalité)
RITUEL DU DUC DE CHARTRES
3e grade de Maître.·. Maçon.·.
Extrait du manuscrit intitulé «La vraie Massonnerie des hommes et des femmes ou cours complet de l'adoption des femmes en trois grades suivie d'un corps de massonnerie des hommes»
1784
LA LEGENDE D'HIRAM
«David ne laissa à son successeur, Salomon, que les fleurs et les délices de la royauté. La sagesse qu'il avait reçue du ciel se dévoilant tous les jours aux yeux del'univers par des prodiges, il s'attira l'admiration de tous les peuples et on accourut detout côté pour entendre ses oracles et voir les merveilles de son règne. Cette sagesse céleste dont il était doué, sa prudence plus qu'humaine et la vaste étendue de ses lumières, faisaient l'admiration générale.
«Il pensa à se faire bâtir un palais plus digne de la majesté royale que celui que David avait occupé, sans cependant oublier que l'édifice du Temple était la grande entreprise de son règne et que c'était surtout pour la consommer que le Seigneur lui avait mis la couronne sur la tête. Aussi ne perdit-il pas de vue depuis l'instant de son avènement au trône l'édification de ce grand ouvrage.
«Il fit assembler de nouveaux ouvriers et de nouveaux matériaux plus riches et en plus grande abondance que n'avait fait David. Il les fit transporter à Jérusalem pour les y employer. Il occupa à cet ouvrage cent cinquante mille hommes dont soixante-dix mille servaient au transport des matériaux, quatre-vingt mille taillaient les pierres dans [les] carrières, outre trois mille six cents inspecteurs qui veillaient sur les travaux et trois cents qui avaient la conduite de tout l'ouvrage.
«Les choses ainsi disposées, et Salomon ne trouvant pas dans son royaume des maîtres assez habiles dans l'architecture et un assez grand nombre d'ouvriers pour mettre en œuvre les cèdres du Liban, il tourna ses vues sur Hiram, roi de Tyr, le constant ami et allié de son père qui avait renouvelé son alliance à son avènement au trône d'Israël.
«Il lui écrivit donc une lettre pour le prévenir de l'édification du Temple de l'Éternel et le prier de lui procurer un ouvrier qui sût travailler l'or, l'argent, le cuivre, le fer, qui sût employer habilement la pourpre, l'écarlate et la hyacinthe, et qui fût expérimenté dans la sculpture et l'architecture afin qu'il pût l'établir maître et mettre sous sa direction les ouvriers que le roi David et lui avaient eu soin de rassembler. Il lui demanda aussi des bois de cèdre, de genièvre et de pin du mont Liban et lui offrit de payer ceux de ses sujets qu'il voudrait employer à ses travaux, promettant de leur donner vingt mille mesures de blé et autant d'orge, vingt mille pièces de vin et autant d'huile, et le pria delui faire savoir si cette proposition lui convenait et si ses offres étaient suffisantes.
«Le roi Hiram se porta avec plaisir à servir son allié et lui répondit en ces termes par son ambassadeur : "Je ferais ce que vous souhaitez de moi pour les bois du Liban, et autres, qui vous sont nécessaires ; à l'égard du savant homme que vous cherchez pour conduire votre ouvrage, je vous envoie ce qu'il vous faut, très content de vous faire un si beau présent. C'est un de mes sujets nommé Hiram Abif, né d'un père tyrien nommé Hur et d'une mère originaire de la ville de Dan de votre tribu de Nephtali.
«"C'est d'ailleurs un homme très sage et un prodige d'habileté, d'adresse et deprudence. Je l'honore, je l'aime comme mon propre père et vous le recommande comme mon fils.
«"Il possède dans un degré éminent l'art de toutes les teintures de pourpre, d[e] hyacinthe et d'écarlate. Mais ce qui vous fera encore plus de plaisir dans la circonstance présente, et qui vous le rendra plus cher, c'est qu'il a un génie rare pour l'invention et un goût exquis pour le dessin. Il va vous joindre incessamment et je vais tout de suite mettre un nombre suffisant de mes sujets à vous couper du bois dans mes forêts du mont Liban que je vous ferai transporter au port de Joppé où vous pourrez les faire prendre et transporter jusqu'à Jérusalem, acceptant pour mes sujets qui travailleront pour vous les conditions que vous m'offrez."
«Tous les préparatifs étant faits et réglés par la sagesse de Salomon, et ayant établi le sublime Hiram Abif pour chef de ses travaux, il fit le dénombrement des prosélytes établis dans son royaume. On en compta cent cinquante-trois mille six cents qui furent tous employés aux ouvrages intérieurs ou extérieurs du Temple. On en marqua soixante et dix mille pour servir de manœuvres et pour porter des fardeaux. C'est ce nombre, M.·. F.·., qui fait l'époque et l'histoire des App.·. F.·. M.·., le premier grade symbolique que vous avez obtenu.
«Quatre-vingt mille furent envoyés dans les montagnes pour y tailler des pierres qu'on ôtait des carrières. C'est l'époque de l'histoire des Comp.·. et le 2e grade symbolique que vous avez reçu.
«Trois mille trois cents commandaient aux travailleurs et ils conduisaient l'ouvrage, et trois cents autres, qui avaient une inspection plus générale, présidaient à tout l'ouvrage sous les ordres d'Hiram, veillant avec zèle partout où leur présence était nécessaire. Ceux-ci sont l'époque symbolique du grade de M.·. que vous allez recevoir et dont je vais vous confier le secret et tout le sublime qu'il renferme. Redoublez votre attention !
«Quand tous les matériaux furent préparés, on commença la superbe bâtisse du Temple. Cette époque historique si célèbre pour les Hébreux, et plus encore pour les F.·. M.·., fut la quatre cent quatre-vingtième [année] depuis le passage de la mer Rouge, la quatrième du règne de Salomon et la première du jour du mois...
«Hiram, qui avait la direction de cette vaste entreprise, s'aperçut au bout de quelque temps qu'il payait au-delà de ce que pouvait monter un pareil nombre d'ouvriers, et cela par la voie de trois perfides Comp.·. qui faisaient, au sixième jour établi pour le paiement, avancer un grand nombre d'étrangers pour recevoir des salaires, comme s'ils eussent été réellement du nombre des travailleurs, et partageaient ensemble leur vol et leur butin.
«Hiram alors assembla tous les ouvriers et leur fit prêter un serment qui rendait inviolable le secret qu'il avait à leur confier. Cela fait, il les divisa en trois classes, comme il avait déjà fait, et fit d'abord celle des App.·. qui étaient au nombre desoixante et dix mille et leur donna un signe, un mot, une marche et un attouchement, pareils à ceux que vous [avez] reçus dans ce grade. Cela devait servir à les faire connaître quand ils viendraient le samedi au soir recevoir leur salaire. Il leur défenditde divulguer ces choses à personne et, pour les en empêcher, il leur fit faire la promesse que vous avez faite vous-même et leur désigna la colonne J à gauche du Temple pour y recevoir leur salaire.
«Il fit ensuite avancer les Comp.·., qui étaient au nombre de quatre-vingt mille, auxquels il donna un signe, un mot, une marche et un attouchement différents des premiers, pareils à ceux que vous avez reçu dans ce grade, sous promesse de ne point les divulguer, et leur assigna la colonne B pour recevoir leur salaire.
«Enfin, il fit la classe des M.·. qui étaient au nombre de trois mille six cents auxquels il donna des signes, des mots et des attouchements et une marche pour se reconnaître différents de ceux qu'avaient les App.·. et les Comp.·., leur fit faire serment de ne point les révéler et leur assigna le propitiatoire pour recevoir leur salaire qui était plus fort que ceux des deux autres classes.
«Tels furent les arrangements, mon F.·., que le grand homme, le premier Grand M.·. symbolique de la F.·. M.·., avait pris pour les secrets des paiements. C'est lui que représente dans nos L.·. le V.·. G.·. M.·.. Salomon lui donna deux adjoints qui portaient le nom de Survts.
«L'un payait les Comp.·. à la colonne B, et l'autre les App.·. à la colonne J, et sont représentés dans nos L.·. par les 1er et 2e Survts.
«Il arriva de cet arrangement que les trois Comp.·., ne pouvant plus voler l'argent destiné au paiement des ouvriers, et peu contents de leur paie, résolurent d'extorquer celle de M.·. en tâchant de se procurer le signe, le mot et l'attouchement de ce grade en le demandant à Hiram, qui leur répondit qu'ils n'étaient pas encore en état detravailler aux ouvrages de M.·., mais qu'ils n'avaient qu'à s'appliquer, et qu'aussitôt qu'ils seraient en état, il les ferait M.·. avec plaisir.
«Ces malheureux, mécontents de cette réponse, résolurent d'avoir de force ce qu'ils étaient indignes d'avoir par leur mérite, et s'y prirent de cette manière.
«Le T.·. R.·. M.·. Hiram était dans l'usage sur la fin du jour de faire la revue générale des travaux du Temple qui, pour lors, étaient déjà forts avancés. Ces trois scélérats attendirent que tous les ouvriers fussent sortis et se postèrent, un à la porte de l'Orient, l'autre à celle de l'Occident et le troisième à la porte du Midi.
«Hiram, seul ce soir-là, ayant fait la ronde à l'ordinaire et examiné les travaux du jour, se retirait au palais du roi. Il trouva à la porte de l'Occident un de ces scélérats qui l'attendait et qui, s'approchant de lui, en exigea le signe, le mot et l'attouchement deM.·.. Hiram le lui refusa en lui disant qu'il lui donnerait quand il en serait digne. L'infâme persista toujours à les lui demander, mais voyant qu'il ne pouvait l'obtenir du vertueux Hiram, il lui donna un coup de règle sur la tête qui l'étourdit. Mais, ayant repris ses esprits, il fut pour sortir par la porte du Midi où il trouva un autre de ces Comp.·. qui lui fit la même demande. Il reçut la même réponse du R.·. Hiram. Ce misérable, voyant qu'il ne pouvait rien obtenir, emporté par sa rage, lui donna un coup de marteau sur l'épaule qui le meurtrit cruellement. Il eut encore la force de se sauver à la porte del'Orient, mais, y étant parvenu avec bien de la peine, il y trouva le troisième de ces scélérats qui le menaça de le tuer s'il ne lui donnait le mot, le signe et l'attouchementde M.·.. Hiram lui représenta avec douceur qu'il ne pouvait [les] lui donner ainsi et que son application au travail lui procurerait cet avantage un jour. Le forcené persista à le vouloir de force et, enflammé de colère par le refus d'Hiram, il lui déchargea un terrible coup de levier qui l'étendit mort à ses pieds.»
Ici, on étend le Récipiendaire sur le tombeau d'Hiram, on le couvre d'un drap noir, on lui met sur la tête un linge blanc ensanglanté qui était sur la tête du dernier M.·.. On allume neuf bougies autour du cercueil. Les FF.·. se placent des deux côtés en silence et on n'entend que quelques gémissements: «il est mort... il est tué», etc.
Alors le [T.·. R.·.] s'approche du cercueil et continue :
«Victime de son zèle et de son secret, exemple à jamais mémorable pour tous les M.·., le R.·. Hiram aima mieux mourir que de trahir son [serment]. Soyons donc, dans tous les temps, aussi fermes et aussi courageux que lui, à quelques épreuves que nous soyons mis. Ainsi périt le plus Vble et le premier M.·. que nous ayons eu.
«Dès qu'il fut mort, les trois assassins le cachèrent sous un escalier dérobé à l'Orient du Temple, voulant le porter sans risque pendant la nuit sur le mont Ebron, lieu qu'ils avaient choisi pour la sépulture.
«La nuit étant enfin venue, ils le transportèrent sur cette montagne. Comme ils étaient à creuser la terre, [l'] un d'eux dit qu'on ne devait pas ignorer que le roi Salomon ferait faire toutes les recherches possibles s'il ne voyait pas Hiram, que cette montagne étant un lieu où les ouvriers travaillaient, on découvrirait aisément leur crime. C'est pourquoi, ils marquèrent le lieu de la sépulture d'une grosse branche d'un acacia pour reconnaître l'endroit où ils mettaient le cadavre, dans l'intention de venir le prendre la nuit suivante et le transporter dans un endroit plus éloigné, dans le cas que Salomon n'aurait pas fait des recherches à cet égard.
«Hiram était dans l'usage d'aller tous les jours rendre compte à Salomon de ce qui s'était passé dans la journée et prenait avec lui les arrangements nécessaires pour la perfection du Temple. Le roi ne le voyant point paraître, et ignorant l'accident qui lui était arrivé, ordonna des recherches les plus vives pour avoir des nouvelles de son cher Hiram, voulant qu'on le trouvât mort ou vif, et promit à cet effet des récompenses à ceux qui pourraient le découvrir.
«Il fit aussi un édit par lequel il déclarait que nul ouvrier ne serait payé jusqu'à ce que l'on eût des nouvelles d'Hiram, et pour en avoir de promptes, il députa neuf M.·. à qui il ordonna de ne point revenir qu'ils n'en eussent de nouvelles.
«Ces neuf M.·. se donnèrent rendez-vous en se désignant l'endroit où ils devaient se trouver le huitième jour. Ensuite, ils se dispersèrent et se divisèrent en trois bandes. Trois sortirent par la porte de l'Occident, trois par celle du Midi et trois par celle del'Orient, dans le dessein de ne point retourner s'ils n'en avaient point de nouvelles. Ils cherchèrent inutilement pendant huit jours et ce ne fut que le soir du neuvième que, s'étant tous rejoints à l'Orient du Temple, fort chagrins, ils firent leur prière, et comme ils la finissaient, ils aperçurent dans le firmament une étoile qui, par son éclat au-dessus des autres et les feux qu'elle jetait, ressemblait aux rayons du Soleil. Ils la fixèrent avec étonnement et dirent qu'il y avait dans cette apparition quelque chose demiraculeux. Ils montèrent sur le mont Ebron où l'un d'eux, voulant considérer cette étoile flamboyante, s'appuya sur la branche d'acacia plantée sur la fosse d'Hiram qui tomba. S'apercevant que la terre avait été remuée à cet endroit, il appela ses compagnons qui présumèrent l'accident arrivé à leur R.·. M.·. et convinrent que le premier signe qu'ils feraient en découvrant son corps serait à l'avenir le signe de M.·., le premier signe pouvant être connu des meurtriers leur devenant inutile. Ils convinrent de mêmede l'attouchement et du mot et réformèrent ainsi le grade de M.·. en empêchant l'abus que les meurtriers auraient pu faire du secret de la M.·., en supposant qu'ils eussent réussi de lui arracher son secret avant sa mort. «S'étant rangés autour de la fosse desept pieds en longueur, trois en largeur et cinq en profondeur, ayant découvert le corps d'Hiram qui était déjà corrompu, ils firent tous le signe d'horreur qui est encore le signede M.·.. (Tous les M.·. font le signe.)
«Ensuite, l'un d'eux s'approchant de ce corps, lui prit un doigt de la main droite en prononçant «J.·.», et le doigt se détacha du corps et lui resta dans la main. Un second s'approcha, prit un autre doigt en prononçant «B.·.», qui se détacha de même que le premier. Enfin, un troisième s'étant approché du cadavre, lui mit pied contre pied, genou contre genou, son bras gauche derrière le corps, appuyant son estomac contre son estomac, et lui ayant cramponné la main droite au-dessus du poignet avec la sienne, il réussit à le relever en prononçant «M.·. B.·.», qui est encore le mot sacré du M.·..»