HIRAM DANS...
La Maçonnerie
considérée comme le résultat des religions égyptienne,
juive et chrétienne
(Extrait du Chapitre VII)
Marcello Reghellini
PARIS, A LA LIBRAIRIE DE J.P. AILLAUD, 1842
La Maçonnerie de Salomon avait, comme on l'a dit, consacré les symboles de mort répandus dans tous les mystères orientaux. Nous le répétons, les Egyptiens pleuraient Osiris mort, pour le Soleil arrivé à la fin de sa course au solstice d'hiver ; les Ethiopiens Memnon , les Perses Mythras, les Grecs Bacchus, d'autres Atys, les Babyloniens Adonis ; tous ces peuples differens ont établi la passion, la mort, la résurrection de leur respective divinité, qui n'était, dans le fait, que le Soleil.
Chez les Juifs, on devait appliquer cette légende à Hiram, constructeur du Temple de Salomon, qui jouait un si grand rôle dans la Mystagogie juive.
On doit regarder le Mythe d'Adon-Hiram, comme l'une des formes les plus anciennes de la personnification solaire introduite dans les Temples maçonniques, qui ont conservé ce mystère, comme dans son institution primitive. On est surpris de trouver le même Mythe dans la passion et le supplice de Jésus-Christ : c'est le sacrifice de son corps, de son sang ; c'est sa mort, le nœud essentiel qui unit les Chrétiens, et que ceux-ci rappellent par une cérémonie commémorative, celle de la communion ; elle existe dans les mystères des anciennes religions, et, pour un cas semblable, l'allégorie de la future rédemption figure dans les mystères maçon.-., comme on le voit par la mort mystique d'Hiram, Grand-Architecte, assassiné par trois compagnons qui voulaient lui ravir cette parole sacrée, tant vénérée par les Juifs , et qui avait occasionné la fête et la commémoration du 10 Thischri. Il est à supposer que les Lévites durent attacher à la parole perdue, par cet assassinat, une seconde allégorie, la rapportant à la liberté, aux biens, à l'autorité perdue à la suite de leurs derniers Rois.
Qu'il nous soit permis de répéter que cette parole de Jéhovah, que le Grand-Prêtre des Juifs ne pouvait prononcer qu'une seule fois par année, était en si grande vénération près des Lévites, que la peine de mort fut ordonnée sous l'empire de la Loi mosaïque contre les blasphémateurs de cette parole; les Israélites se servaient d'autres mots, qui se rapportaient à celui-ci, pour exprimer Dieu; néanmoins ils les respectaient tous, ils cherchaient même à les sanctifier de toute manière, ils les prononçaient avec une grande vénération, ne s'en servant (i) que dans de grands périls, ou pour un usage particulier de dévotion. Cette parole Jéhovah, dans les mystères juifs, s'étant perdue comme on a vu par la fête et cérémonie du a o Thischri, les prêtres et Lévites firent un devoir aux initiés de la chercher, de la trouver, et de mettre tout en œuvre pour venger l'assassinat supposé. Il est constaté que nous conservons ces pratiques, la première dans le Chevalier Ecossais, et la seconde dans les Elus.
Ainsi qu'on vient de le dire, toutes les religions de l'antiquité avaient puisé leurs principes chez les Egyptiens , où se trouvait la commémoration par nous expliquée de la mort d'Osiris, et l'allégorie mystérieuse de sa vengeance sur ses meurtriers. Les prêtres juifs n'ont l'ait que substituer Hiram à Osiris; quelques rites, en place d'Hiram , ont Adon-Hiram, qui était le héros des Bahyloniens.
La commémoration de ces vengeances n'était point instituée chez les Egyptiens, ni chez les autres peuples, ni dans nos mystères, pour des fins sanglantes, comme quelques détracteurs se sont plu à le répandre faussement, et comme on le verra par la suite (i); elle se rapporte aux simples opérations de la nature, qui n'offre que guerres continuelles entre leprincipe générateur et le principe destructeur, doctrines invariables que les prêtres égyptiens enseignèrent toujours à leurs néophytes.
Ainsi les anciens instituteurs des mystères, dans l'application particulière de leurs vengeances simulées, faisaient allusion à telle histoire ou à telle légende : ce que nous avons adopté après eux dans nos différens degrés et rites : de là , des visionnaires mal instruits et malicieux ont essayé de persuader que nous voulions réellement les exécuter, et que le néophyte devait venger ces assassinats allégoriques sur leurs auteurs, soit figurativement, soit implicitement, ou sur ceux qui les représentent.
Qu'on se désabuse; ces vengeances ne sont que les allégories des effets de la nature, ou du conflit perpétuel de la Génération avec la Destruction de l'œuvre qui produit la Régénération ou Réparation des êtres, ce qu'on a si souvent répété; vérités incontestables enseignées par les prêtres égyptiens, principes fondamentaux de tous leurs mystères et de tous leurs dogmes comme du nôtre.
Les Lévites durent se servir de la branche sacrée de l'Acacia pour figurer l'assassinat d'Hiram : nos instituteurs choisirent cette branche d'arbre, car elle était commune à tous les mystères anciens.
On verra que les Sabéens et les Chrétiens de St. Jean honoraient cet arbre, et se servaient d'une de ses branches dans les initiations. Les Sabéens appelaient cet arbre Houzza; ce nom se trouve littéralement être celui de l'acclamation et du vivat des Maçons Ecossais « Houzé », qu'on écrit « Huzza ». La Maçonnerie d'Ecosse, d'Angleterre, de France, d'Italie, d'Allemagne, a emprunté son cri de joie au rameau des initiés, et le place en tête de ses chartes et capitulaires.
Ce symbole, au commencement de nos mystères, est un objet de tristesse, mais l'allégresse la suit de près : or, à la manifestation d'Hiram, les Juifs durent y unir l'allégorie du bois qui donne le salut, et l'Acacia était regardé pour le Lignum salutis. On prétend que la croix de Jésus était de cet arbre.
Les Parsis, peuple de l'Orient, conservaient encore, dans certaines fêtes, l'emploi d'un rameau mystérieux, quelquefois végétal, le plus souvent métallique : c'est un signe qu'on retrouve partout où il y a trace d'initiation.
Nous le trouvons dans le gui des Druides et dans la fête des Rameaux des Chrétiens de Rome, laquelle précède de cinq jours la commémoration de la mort de Jésus sur le Bois de salut.
Quelques critiques ont avancé que les prêtres de Rome conservent l'emblème de l'Acacia , qu'eux aussi sont initiés, qu'ils ont des signes allégoriques, mais qu'ils ne les comprennent pas; ces mêmes critiques disent encore que l'usage de ces objets sacrés ne sert qu'à alimenter leur puissance, se borne chez eux à des cérémonies insignifiantes , et qu'ils ne pratiquent pas généralement les vertus que leurs emblèmes et leurs cérémonies sont destinés à leur retracer.
Un grand nombre de médailles et d'abraxas, qui portent l'initiation, sont accompagnés d'un rameau. (Voyez Montfaucon et ses planchesdes i.er et a.e vol.)
Les Parsis se servaient aussi dans leurs mystères de branches sacrées de Hom , elles n'étaient propres au service religieux qu'après qu'elles étaient restées trempées pendant un an dans l'eau bénite (Voyage aux Indes, par Kleucher et Zendavesta, ni, 6). Les rameaux des Chrétiens romains doivent être également bénis et aspergés avec de l'eau bénite par un prêtre; alors les crédules leur attribuent des pouvoirs miraculeux, même celui d'écarter la foudre.
On lit dans Herden (Philosophie de l'Histoire, tom. in, § 29), que les habitans des bords du Gange s'y baignent pour l'expiation de leurs péchés; mais il faut qu'ils tiennent à la main des brins de paille bénis par un Brama, sans quoi l'immersion est nulle.
Cette mort mystérieuse et cette branche qui la manifeste, se trouve aussi dans les mystères des anciens Romains; nous ne faisons que rapporter ce qu'un moderne savant, l'auteur du Poème de la Maçonnerie, observe très-judicieusement (ce qui avait été dit par l'Encyclopédie Maçonnique), qu'il y a une analogie frappante entre l'initiation romaine et celle des Egyptiens, qui est la même que celle des Maçons d'aujourd'hui.
Les cérémonies maçonniques ont un rapport marqué avec plusieurs passages de Virgile, qui, non-seulement les expliquent, mais même seraient inintelligibles sans lui. Ainsi, par exemple, dans son 6ème livre de l'Eneide, Enée descend aux Enfers, cherche la branche fatale et mystérieuse ( qu'on a comparée au gui dont se servaient les Druides dans leurs mystères ) : là, il découvre le corps de Misène, tué par un Dieu jaloux. Virgile, après avoir décrit le mystère de la putréfaction et de la chair qui se détache du corps, nous dépeint son héros frappant de son épée des monstres terribles qui s'opposent à son passage, et triomphant enfin de tous les obstacles, même des quatre élémens qui se trouvent précisés dans ses vers.
L'incertitude qui a régné longtemps sur l'affinité des anciens mystères avec ceux des Maçons, a disparu par la comparaison et par le récit des épreuves des anciens ; l'on voit clairement qu'en elles tout est emblématique , qu'on y représentait aux initiés l'avantage des sociétés, la nécessité des lois qui en découlaient; on y prouvait que l'initiation était un secours de plus pour parvenir à l'exercice de ses devoirs, et qu'il fallait la pureté du cœur et l'habitude des vertus pour l'obtenir. On peut se persuader et on peut dire qu'il est démontré clairement que, par l'initiation, on parvenait à la connaissance des secrets de la nature, et à la vérité ; que cette dernière toute raie ne convenait pas pour tous les yeux; aussi pour participer à cette connaissance, exigeait-on des épreuves, des grades de mérite, en un mot, il fallait s'en rendre digne.
Ces obstacles préliminaires, que nous lisons dans Setos et dans Virgile., constituaient, à proprement parler, l'initiation; nos sages instituteurs ont voulu, en les rendant difficiles à surmonter, ne pas rendre trop générale la connaissance des vérités, qui auraient été nuisibles aux hommes non destinés à connaître la nature dans sa pureté native : voilà pourquoi, dans les Temples égyptiens, la nature, qui ne représentait que la vérité, était voilée. Mais revenant au poème de Virgile, « la Descente d'Enée aux Enfers », réunit sur l'initiation tout ce qu'on ne trouve qu'avec peine dans une multitude d'auteurs; on y voit les épreuves et les cérémonies des mystères; on y trouve les mêmes doctrines : -car si l'on examine les discours de la Sybille, dans le langage qu'elle tient, nous trouvons celui des préparateurs égyptiens et juifs, qui étaient chargés d'instruire et de conduire l'initié dans les épreuves, et le discours d'Anchise nous dévoile le Hiérophante égyptien, juif et grec, qui instruit l'initié après les épreuves; il roule tout entier sur l'Etre Suprême, sur l'immortalité de l'âme, sur les récompenses et punitions futures. D'après ce que nous venons d'exposer, on peut aisément conclure que les Juifs, fondateurs de ces nouveaux mystères, indépendamment de ce qu'ils choisirent pour l'Etre allégorique un personnage illustre, réellement figuré dans la construction du Temple de Salomon, cherchèrent encore qu'il donnât par quelque rapport une idée du sens mystérieux, de l'objet et du fond de l'allégorie cachée : ainsi, ils choisirent Hiram , parce que la Bible, liv. III des Rois, chap. 7, v.13, le cite comme le fondeur, le ciseleur, le sculpteur de Salomon, ce qui se trouve confirmé par Joseph ; ils le choisirent par une analogie très-remarquable, car il était le fils de Ur, et .ce mot chez les Juifs se prend pour le feu , qui est le principal des quatre élémens, cause de toute génération chez les Perses et chez les Egyptiens.
Il est à remarquer de plus, que chez toutes les nations qui avaient admis dans leur religion et leurs mystères, le culte du Soleil, les Hiérophantes cachaient l'objet de leur vénération par la substitution d'un des héros de leur pays; les uns établirent la légende de Phthas, les autres d'Osiris, de Bacchus, d'Hercule, de Mithras, d'Ammon, etc. Les Lévites ont dû choisir Hiram, d'après l'exercice de son art, et d'après le nom de son père, pour l'être allégorique qui représente le Grand-Architecte du Temple de Salomon ; ces Lévites, lors de leur esclavage à Babylone , durent regarder cette liturgie comme l'allégorie de leurs pouvoirs, biens et liberté perdus par leurs Rois. Nous avons souvent occasion de reproduire de pareils faits, et la nature de notre sujet nous y force.
Cette allégorie et cette légende d'Hiram varient dans nos Temples; il en est de même de celle de ses trois assassins. Elle est l'allégorie de Jésus-Christ dans la Maçonnerie couronnée, et est suivie par les Bons Cousins.
Jésus-Christ, comme le Soleil, termine sa carrière, apostrophé par le mauvais principe ou par le mauvais larron. Le bon principe suit le Christ dans sa gloire : on a même voulu faire ressortir davantage l'allégorie dans le tremblement de terre, dans les ténèbres, dans le bouleversement de la nature, qui suivent la mort du Divin Maître, de même que si réellement le Soleil s'était anéanti. Hiram, dans la Maçonnerie ancienne et acceptée dans un de nos Ordres, est l'emblème de Jésus Christ , du Grand-Architecte , de son Eglise; dans un autre , il représente l'ordre parfait qui se trouve dans la nature. Hiram, dans les Kadosch de tous les rites (remarquons que cet Ordre n'est pas, selon les plus savans Maçons , celui des Juifs et de l'antiquité), est cru l'allégorie du martyre de Jacques Molay et de la destruction des Templiers; opinion adoptée par le régime de la StricteObservance , par les rites écossais des Templiers, et même par celui qui s'est dernièrement reproduit sur l'horizon sous la dénomination de l'Ordre du Temple.
La légende des trois assassins d'Hiram varie de la même manière ; chez les uns, ce fut Judas, Caïphe, Pilate; chez d'autres, Luther, Calvin, Zwingler, ou Abiram, Romvel, Grevelot, ou Giblon, Giblas, Giblos, ou Jubela, Jubelum, Jubelos; tandis que le Kadosch , la Stricte-Observance et l'Ordre du Temple ont Squin de Florian, Neffodei et l'inconnu dans un point ; et dans un autre, on leur suppose avoir Philippe-le-Bel, Bertrand de Gotte et l'inconnu, ou le Grand-Maître de Malte, qui firent périr les Templiers.
Les Rose-Croix de Kilwinning nomment les trois assassins Gain, Haken et Heni ; .tandis que les Adon-Hiramites les appellent Hobben, Austersfuth, Schterke.
Chez les nations où un pouvoir absolu ou illégitime tient lieu de gouvernement paternel et représentatif, souvent l'allégorie d'Hiram et de ses assassins s'est prêtée à la commémoration, peut-être irrégulière, de l'assassinat de la liberté civile, occasionné par l'avarice, la superstition, le despotisme.
Les Ordres des Maîtres Elus, Kadosch, Templiers, etc. etc., envisagés par quelques cabinets comme dangereux, par suite de préventions mal fondées, furent accusés de vouloir, par leur allégorie, venger la destruction des Chevaliers Templiers dans leurs assassins ; mais que tous les politiques se désabusent, l'Ordre maçonnique est bien plus ancien que ces Chevaliers, qui n'y furent admis qu'au 13ème siècle, et desquels on adopta seulement quelques systèmes dans quelque Ordre dont l'institution est moderne. Par tout ce qu'on vient de dire précédemment, les allégories du Maître, de l'Elu, du Kadosch, quoi qu'en disent les légendes , ne tiennent, par les cahiers qu'on peut examiner, qu'à des faits physiques et moraux, liés à d'anciennes institutions : elles ne se rapportent aucunement à ces points historiques et politiques. Mais quand cela serait, que tous ces visionnaires se rassurent; car, dis-je, quand même l'allégorie d'Hiram se rapporterait à la politique, il est évident qu'alors elle serait bien plus favorable que nuisible à l'autorité royale, même despotique et absolue ; car elle commande la vengeance du meurtre d'un héros égorgé par trois rebelles ; et dans le rite moderne français, elle le commande au nom du plus juste des Rois juifs.
Quant aux Lévites, outre les allégories personnelles que présentaient leurs mystères, ils en avaient aussi de matérielles ; ce que nous conservons dans tous les rites, comme la pierre cubique, sous laquelle est caché le précieux Delta, qui porte gravé le nom du grand innominable Jéhovah.