CLAVEL La Franc-Maçonnerie en Amérique




LA FRANC-MAÇONNERIE EN AMERIQUE


Extrait de 

"Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie 
et des sociétés secrètes anciennes et modernes"

François-Timoléon Bègue-Clavel

1843


Dès 1721, elle avait été portée au Canada. Elle s'établit au Louisbourg et au Cap-Breton en 1745. Aux Etats-Unis, la première loge fut fondée en 1730, en Géorgie ; et le frère Roger Lacey y fut institué grand-maître provincial. Le nombre des ateliers s'était multiplié dans cet Etat, lorsque, le 16 décembre 1786, le grand-maître provincial, Samuel Elbert, en réunit tous les députés à Savannah, et abdiqua entre leurs mains les pouvoirs qu'il avait exercés jusque-là au nom de la Grande-Loge d'Angleterre. A partir de ce moment, une grande loge indépendante fut instituée pour l'Etat de Géorgie. Elle rédigea ses statuts, nomma ses officiers et maintint le frère Elbert dans la grande-maîtrise. C'est aussi en 1730 que la maçonnerie fut introduite dans le New-Jersey, et en 1786 également que se constitua la grande loge de cet Etat. Le frère David Brearly en fut le premier grand-maître.

La société existait déjà dans le Massachussetts, vers l'an 1750. Sur la demande de frères résidant à Boston, le lord vicomte de Montagu, grand-maître d'Angleterre, nomma, en 1733, le frère Henri Price grand-maître provincial pour le nord de l'Amérique, avec pleins pouvoirs de choisir les officiers nécessaires pour former une grande loge provinciale, et de constituer des ateliers maçonniques dans toute l'étendue des colonies américaines. Le 30 juillet,, le frère Price constitua sa grande loge provinciale et institua des loges dans différentes parties du continent. En 1755, une autre grande loge provinciale s'établit à Boston, sous l'autorité de la Grande-Loge d'Ecosse, en rivalité de la première. Celle-ci fit de vains efforts pour s'opposer à cet établissement ; elle le déclara schismatique, et défendit à ses loges de communiquer avec les maçons qui le reconnaissaient. Elle adressa, au sujet d'un tel empiètement sur sa juridiction, des réclamations à la Grande-Loge d'Ecosse, qui n'en tint aucun compte, et qui même délivra, sous la date du 30 mai 1769, une charte qui nommait Joseph Warren grand-maître provincial du rite d'Ecosse à Boston et à cent milles à la ronde. Ce grand-maître fut installé le 27 décembre suivant, et bientôt la grande loge à laquelle il présidait constitua une foule de loges dans le Massachussetts, le New-Hampshire, le Connecticut, le Vermont, le New-York, etc. Peu de temps après, la guerre éclata entre l'Angleterre et ses colonies. Boston fut fortifié et devint place d'armes. Beaucoup de ses habitants émigrèrent ; les loges cessèrent leurs travaux, et les deux grandes loges suspendirent également leurs réunions. Cet état de choses dura jusqu'à la paix.

En 1775 eut lieu, le 17 juin, la bataille de Bunker's-Hill. Le grand-maître Warren y fut tué en combattant pour la liberté. Quelques-uns de ses frères l'enterrèrent sur le lieu même où il avait péri. A la paix, la grande loge dont il avait été le chef voulut lui rendre les derniers honneurs. A cet effet, elle se transporta en corps sur le champ de bataille, et guidée par un frère qui avait combattu aux côtés de Warren et avait contribué à inhumer sa dépouille mortelle, elle fit fouiller la terre et exhumer les restes du grand citoyen, qui furent transportés à la maison d'état de Boston, au milieu d'un immense concours de frères . Peu après, on les déposa dans une tombe sur laquelle on n'avait tracé aucun emblème  et aucun nom, pensant « que les belles actions de Warren n'avaient pas besoin d'être gravées sur le marbre pour rester dans la mémoire de la postérité. »

Le champ de bataille de Bunker's-Hill fut témoin d'une magnifique solennité maçonnique, lors du voyage du général Lafayette aux Etats-Unis. Le 17 juin 1825, cinquantième anniversaire de cette lutte héroïque dans laquelle les patriotes américains triomphèrent pour la première fois du courage discipliné des Anglais, la Grande-Loge de Boston appela tous les maçons de la république à la célébration d'une grande fête nationale. Plus de cinq mille frères répondirent à cet appel. Un cortège se forma, qui se porta, d'un mouvement spontané, à la maison du général Lafayette, dont on avait résolu de célébrer dignement la présence à Boston. Les frères le prirent au milieu d'eux et le conduisirent en triomphe, au bruit des cloches de toutes les églises et des détonations de l'artillerie, à travers un million de citoyens accourus des points les plus éloignés et se pressant sur son passage, sur le lieu même où, cinquante ansauparavant, il avait exposé sa vie pour la défense des droits et des libertés de l'Amérique. On y posa la première pierre d'un monument destiné à perpétuer le souvenir de la victoire de Bunker's-Hill. Le grand-maître répandit du blé, du vin et de l'huile sur la pierre, pendant qu'un ministre de la religion la consacrait sous les auspices du ciel. Alors le cortège se rendit à un vaste amphithéâtre construit sur le revers de la montagne , et là, l'orateur de la Grande-Loge, s'adressant à ses innombrables auditeurs, leur rappela, dans un chaleureux discours, les iniquités et les malheurs dont leurs pères avaient eu à souffrir sous la tyrannie de la métropole, et les bienfaits d'une liberté due à leur généreux dévouement et à l'appui désintéressé de quelques nobles étrangers. A ces mots, un immense applaudissement s'éleva du sein de la foule, et Lafayette fut salué du nom de père de la patrie. Ce fut un beau jour pour cet illustre vieillard, qui répandit de douces larmes en recevant ainsi l'hommage de la reconnaissance de tout un peuple !

En 1777, les deux Grandes-Loges de Boston se déclarèrent indépendantes. Cependant la rivalité qui les divisait avait beaucoup perdu de sa vivacité. Les frères des deux obédiences communiquaient entre eux sans que les corps dont ils dépendaient y missent sérieusement obstacle. Le vœu d'une réunion, émis par quelques maçons, était devenu celui de tous ; aussi, lorsque la grande loge fondée originairement par la métropole anglaise fit à sa rivale une proposition formelle de fusion celle-ci l'accepta-t-elle avec empressement. Les bases en furent facilement arrêtées, et la réunion s'opéra le 05 mars 1792. De pareils rapprochements eurent lieu bientôt après dans tous les Etats de l'Union américaine où les loges étaient soumises à différentes autorités. A cette occasion, le président Washington fut nommé grand-maître général de la maçonnerie dans la république. Une médaille fut frappée en 1797 pour perpétuer le souvenir de cette élection.

L'établissement de la société dans la Pennsylvanie remonte à l'an 1734. La Grande-Loge de Boston délivra en cette année, à plusieurs frères résidant à Philadelphie, des constitutions pour ouvrir une loge dans cette ville. Benjamin Franklin, si célèbre depuis, en fut le premier vénérable. Le nombre des loges s'accrut rapidement dans cet Etat. La plupart s'étaient fait constituer directement parla Grande-Loge d'Angleterre ; elles obtinrent de ce corps en 1764 l'autorisation de former une grande loge provinciale, qui se déclara indépendante en 1786, à l'exemple de celles de New-Jersey, de Géorgie et de Massachussetts.

La Grande-Loge de New-York fut constituée comme grande loge provinciale le 05 septembre 1781, en vertu d'une charte du Duc d'Atholl, chef de la Grande-Loge des anciens maçons, corps qui s'était formé à Londres en rivalité de la Grande-Loge d'Angleterre, ainsi qu'on le verra dans la suite de cette histoire. En 1787, elle secoua le joug, et proclama son indépendance. Une autre grande loge avait été fondée antérieurement sous les auspices de la Grande-Loge d'Angleterre. Celle-ci avait son siège à Albany. Elle s'affranchit également en 1787 de la dépendance de l'autorité qui l'avait établie. En 1826, ces deux grandes loges comptaient plus de cinq cents ateliers dans leurs juridictions. La dernière a cessé d'exister vers 1828.

A la fin de 1837, une grande loge schismatique tenta de se former à New-York. La loge d'York, n° 367, avait résolu de faire, le 24 juin une procession publique, pour célébrer, suivant un usage anciennement en vigueur dans ce pays, la fête de saint Jean, patron de la société maçonnique. Un grave évènement que nous relaterons ailleurs, et dont l'impression n'était pas tout à fait effacée, imposait à la maçonnerie américaine la plus grande circonspection, et lui interdisait toutes les manifestations extérieures qui auraient pu réveiller le souvenir du passé. La Grande-Loge intervint donc pour obtenir de la loge d'York qu'elle renonçât à réaliser son dessein. On promit tout ce qu'elle voulut ; mais on n'en continua pas moins les préparatifs commencés, et tout annonçait que la procession aurait lieu comme il avait été décidé. Au jour fixé pour cette cérémonie, le député grand-maître se transporta au local où la loge était réunie, espérant qu'il obtiendrait d'elle par la persuasion ce qu'elle refusait d'accorder aux injonctions de la Grande-Loge. Mais un esprit de vertige semblait avoir saisi les frères : ils refusèrent d'entendre la parole de cet intermédiaire officieux ; et, au lieu d'apprécier ce qu'il y avait de fraternel dans sa démarche, ils l'accablèrent d'invectives et le contraignirent à se retirer pour n'avoir pas à subir de plus sérieux outrages. Aussitôt le cortège se forma ; la procession parcourut les rues de la ville, non sans provoquer sur son passage des murmures inquiétants pour sa sûreté. Peu de temps après, la Grande-Loge s'assembla extraordinairement, et prononça la radiation de la loge, qu'elle déclara irrégulière et qu'elle signala comme telle aux autres ateliers de sa juridiction. Cette mesure fut diversement jugée. Quelques loges la désapprouvèrent hautement, firent cause commune avec la loge rayée, et constituèrent une nouvelle grande loge. Cette levée de boucliers n'eut cependant pas de suites ; la plupart des frères dissidents vinrent bientôt à résipiscence, et obtinrent leur pardon de la Grande-Loge. Quant aux autres, ne trouvant d'appui dans aucun des corps maçonniques des Etats-Unis, ils se dispersèrent ; et les ateliers dont ils faisaient partie, ainsi que la grande loge schismatique, cessèrent dès ce moment d'exister .

On a vu plus haut que la maçonnerie américaine s'associait aux solennités publiques comme corporation de l'Etat, qualité qui lui avait été conférée par la plupart des législatures de l'Union ; nous en citerons deux autres exemples. En 1825, il fut célébré à New-York une grande fête nationale pour l'inauguration du canal de l'Erié. Les maçons, notamment, y accoururent des extrémités de la république. Dans le cortège qui partit de l'hôtel de la commune pour se rendre aux bords du canal, ils marchaient, décorés de leurs insignes et leurs bannières déployées, entre l'ordre judiciaire et le gouverneur de l'Etat, et ils eurent une place d'honneur sur les gradins de l'immense amphithéâtre qui avait été dressé sur le lieu de la cérémonie. L'année suivante, à la fête qui eut pour objet d'honorer la mémoire des patriotes Adams et Jefferson, la société maçonnique ne fut pas l'objet d'une moindre distinction. Elle figurait dans les premiers rangs du cortège. Les robes, les ceintures des différents hauts grades ; les riches costumes des officiers des chapitres de Royale-Arche ; les vêtements noirs à l'espagnole des chevaliers du Temple, formaient un coup d'œil imposant et bizarre à la fois, qui attirait particulièrement l'attention de la foule.

Depuis la révolution qui renversa la domination française à Saint-Domingue, la maçonnerie avait cessé d'exister dans cette île, où elle avait été portée vers le milieu du siècle passé. Le Grand-Orient de France l'y introduisit de nouveau en 1808. On voit, en effet, figurer sur ses tableaux à cette date les loges le Choix des hommes, à Jacmel ; les Frères réunis, aux Cayes ; la Réunion désirée, au Port-au-Prince; la Réunion des coeurs, à Jérémie. En 1809, les Anglais constituèrent l'Amitié des frères réunis, au Port-au-Prince, et l'Heureuse réunion, aux Cayes, et attirèrent à leur juridiction les loges créées par le Grand-Orient. En 1817, ils instituèrent une grande loge provinciale au Port-au-Prince, dont ils nommèrent grand-maître le grand-juge de la république haïtienne.

Le frère d'Obernay, qui prenait le titre de grand-maître ad vitam de toutes les loges du Mexique, et qui, dès le mois de juillet 1819, avait été investi de pleins pouvoirs par le Grand-Orient de France, érigea en 1820 plusieurs ateliers du rite français à Jacmel, au Port-au-Prince et ailleurs. En 1822, une loge du rite écossais ancien et accepté fut aussi établie aux Cayes par le comte Roume de Saint-Laurent. Celle-ci'avait pour titre : les Elèves de la nature, et reconnaissait l'autorité du Suprême Conseil de France. Cet état d'anarchie de la société entraînant de graves inconvénients, les maçons haïtiens songèrent à y mettre un terme. Dans ce but, ils se détachèrent de la Grande-Loge anglaise, et formèrent, le 25 mai 1823, un Grand-Orient national sous la protection du président de la république. Ce corps déclara, en 1833, reconnaître les divers rites maçonniques en vigueur, et s'en attribua l'administration dans toute l'étendue du territoire haïtien. Ce coup d'Etat donna lieu à de vives réclamations. Jusqu'à présent, les Elèves de la nature, aux Cayes ; les Philadelphes, à Jacmel ; la Vraie gloire, à Saint-Marc, ont refusé de s'y soumettre.

A l'époque de l'établissement de l'empire brésilien, la maçonnerie avait déjà plusieurs ateliers en vigueur dans ces contrées. Un Grand-Orient s'y forma peu après. Don Pedro Ier, reçu maçon le 5 août 1822, en fut nommé grand-maître le 22 septembre de la même année. A peine installé, il conçut des doutes sur la fidélité des loges et voulut interdire leurs réunions ; mais, depuis, mieux informé, il abandonna ce dessein. Le rite écossais ancien et accepté s'introduisit dans le pays postérieurement à 1820, et y fonda un suprême conseil du trente-troisième degré. Cette autorité est distincte du Grand-Orient du Brésil, qui pratique le rite français ou moderne. Dans ces derniers temps, il s'est opéré une scission dans le sein du Suprême Conseil, de laquelle est née une seconde puissance écossaise.

Pendant quelque temps, la franc-maçonnerie jouit d'une grande faveur dans la république de Vénézuela, où elle avait été introduite vers 1808 ; mais les dissensions politiques qui ont agité le pays lui ont été fatales ; et l'on n'y compte plus aujourd'hui qu'un petit nombre de loges, qui professent le rite écossais et dépendent d'un suprême conseil du trente-troisième degré.

Au Mexique, l'institution n'est pas dans un état plus florissant. Les premières loges y furent érigées pendant la guerre de l'indépendance. Elles tenaient leurs constitutions des divers Grandes-Loges des Etats-Unis, et particulièrement de celle de New-York. Le rite qu'elles pratiquaient était celui des anciens maçons d'Angleterre, plus connu sous le nom de rite d'York. Avant 1820, il se forma dans ce pays plusieurs ateliers du rite écossais ancien et accepté, qui, à quelque temps de là, y organisèrent un suprême conseil de ce rite. Ce n'est qu'en 1825 que les loges du rite d'York établirent le Grand-Orient mexicain, avec le concours du frère Poinsett, ministre des Etats-Unis, qui procéda à son installation. En 1827, la division des partis était des plus tranchées au Mexique. Les loges, malheureusement, leur servirent de points de réunion. Le parti du peuple, composé des membres du gouvernement, de la majorité des Indiens et des indigènes, et de tous les adhérents sincères du système fédéral, s'affilia aux loges du rite d'York, et reçut, à cause de cela, le surnom de Yorkino. Le parti opposé, celui du haut clergé, de l'aristocratie, des monarchistes, des centralistes, s'attacha aux loges du rite écossais, et fut, par une raison analogue, appelé Escoceses. Celui-ci, le moins fort, mais le plus adroit, s'empara un moment du pouvoir, et détruisit la plupart des loges des Yorkinos. Lorsque la chance tourna, ce furent, à leur tour, les Escoceses qui furent l'objet de violences de la part du vainqueur. Pendant ces agitations, la maçonnerie eut beaucoup à souffrir : aussi ne compte-t-on aujourd'hui, au Mexique, que fort peu de loges, dont les travaux sont languissants, et qui, peut-être, ne tarderont pas à se dissoudre.

Les dernières grandes loges qui s'organisèrent en Amérique sont celles de la république du Texas, du territoire d'Arkansas et de l'Etat d'Illinois (Etats-Unis). La première a été fondée, le 20 décembre 1837, sous l'autorité de la Grande-Loge de la Louisiane. Elle a son siège à Austin, et compte quatorze loges dans sa juridiction. La seconde date du commencement de 1842. La troisième enfin a été établie le 23 octobre de la même année par les Grandes-Loges du Kentucky et du Missouri, sur les débris d'une autorité de même nature, qui s'était dissoute il y a quelques années.

C'est ainsi que, dans le cours d'un siècle, la franc-maçonnerie se propagea sur toute la surface de la terre, répandant partout sur son passage des semences de civilisation et de progrès, au milieu même de ses plus grands écarts. Il est, en effet, à remarquer que toutes les améliorations qui se sont produites dans les idées et traduites dans les faits, depuis un pareil nombre d'années, ont leur source dans les prédications mystérieuses de la maçonnerie, et dans les habitudes contractées dans les loges et reportées au dehors par les maçons. Il ne faut donc pas s'étonner que les partisans et les soutiens d'un vieil ordre de choses dont la maçonnerie opère insensiblement et pacifiquement la transformation se soient opposés de tout leur pouvoir à l'établissement et au développement de cette institution. On verra dans le chapitre suivant de quels obstacles de toute nature il lui a fallu triompher.



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