BACQUE DE BALAGUE Mithra : un dieu des Francs-Maçons




MITHRA

Un dieu des Francs-Maçons


René P. Bacqué de Balagué


Mithra, un dieu franc-maçon ?

Dans le panthéon universel, Mitra (que nous réserverons au Dieu védique), orthographié aussi Mithra (que nous utiliserons plus systématiquement dans cet exposé), occupe une place singulière. Dieu indo-européen (arien pour être précis), son existence est prouvée déjà 2'000 ans avant l’ère chrétienne et il existe encore de nos jours en Inde et en Iran un certain nombre de ses fidèles. Les aspects de ce dieu et la pratique de son culte ont varié au cours de cette longue période qui s’étend sur plus de 4000 ans. D’autre part, le taureau, symbole de la force virile, que Mithra sacrifie est apparu dans l’iconographie sacrée entre 10000 et 9000 ans avant notre ère. Il est associé à la déesse Ishtar à Çatal Huyük, village d’origine néolithique du plateau turc. 

Mithra le Tauroctone est parfois appelé : “Mithra le Dieu franc-maçon de l’Antiquité”

Cette apposition, caricaturale, parue notamment dans le titre de l’article : “Sacrifié par Mithra, le dieu franc-maçon de l'Antiquité” dans la revue : “Allez savoir” (numéro 20 - juillet 2001) de l’Université de Lausanne - est-elle vraiment justifiée ? Ne relève-t-elle pas de préjugés dont le milieu universitaire est souvent perclus ? Y a-t-il un Dieu Franc-maçon ou un Dieu des Francs-maçons ? C’est ce que cette étude se propose d’élucider.

De quoi s’agit-il ? Les sources écrites en langue française sur Mithra sont assez restreintes et proviennent essentiellement des ouvrages du Professeur F. Cumont :"Les religions orientales dans le paganisme romain” ; du Professeur G. Dumézil “Mitra-Varuna, mythes et dieux des Indo-Européens” ; du Professeur Robert Turcan “Mitra et le Mithraïsme - les cultes orientaux dans le monde romain”. Il convient de mentionner aussi les cours de langues et de civilisations indo-européennes, par le Professeur Louis Charles Prat de l’Université de Rennes II (Haute Bretagne), qui m’a fait l’amitié de me confier les notes et son livre : “Il y a 6000 ans nos ancêtres” (mœurs, civilisation et idéologie des Indo-européens). Les sources anglaises sont plus abondantes et de nombreux colloques se sont tenus sur Mithra en cette langue. Les lecteurs intéressés par cet article sont invités à se reporter aux ouvrages précités dont les références complètes figurent dans la bibliographie.

Qui est Mithra ? De Mitra à Mithra

La réponse est apportée par l’étude linguistique du Professeur Louis Charles Prat qui est diplômé d’études indiennes (option védique), licencié en Sanskrit, spécialiste des Védas, agrégé de grammaire, docteur en lettres, un des trois spécialistes français de linguistique comparée et d’études indo-européennes. Pour lui, l’origine du mot Mitra ou Mithra est indo-européenne ; le dieu, en revanche, est sans aucun doute aryen. Les Aryens (les Seigneurs), nom qui vient du radical indo-européen "Ari" et qui exprime l’excellence vouaient un culte à Mitra déjà 2000 ans avant notre ère. La langue sacrée des Indo-européens (le Sanskrit de Samskrita - achevé parfait) est une langue artificielle, menée à la perfection et fixée par des savants linguistes à une époque située 2000 ans avant notre ère. Dans cette langue, Mit(h)ra a valeur d’un nom neutre pourvu du suffixe instrumental Tro, latin : Ara Trum, grec apo Tpov : charrue, instrument agraire aratoire. Mit(h)ra serait ainsi un dérivé neutre, au “degré zéro”, d’une racine mi / moi que l’on retrouve dans toutes les langues indo-européennes avec l’idée d’échange.

En Sanskrit, Mitra, nom commun, signifie au masculin : “l’ami”, et au neutre : “le contrat, l’alliance, l’amitié”, un sens voisin de celui du dieu “lieur” celte. Dans les écrits en sanskrit védique (Rig Veda/Veda des hymnes III.59), on ne trouve Mitra qu’une seule fois. La raison de cette unique inscription est que Mitra est le surnom du dieu Brahmâ. Dans les textes, Mitra apparaît avec un autre dieu : Varuna. Depuis des temps très reculés, ils forment le couple de dieux majeurs, appelé par exemple à garantir un traité hittite mitanien hourrite du XIVe siècle avant notre ère. Dans la tradition ariano-indo-européenne védique, Mitra est le souverain sous son aspect raisonnant, clair, calme, bienveillant, sacerdotal, tandis que Varuna est le souverain sous son aspect assaillant, sombre, inspiré, violent, terrible, guerrier (se reporter à l’ouvrage de G. Dumézil : Mitra-Varuna). Les deux dieux majeurs, Varuna et Mitra, représentent ainsi les deux faces de la souveraineté sacerdotale royale, magico-scientifique et juridique. Lors d’une migration d’une des branches du peuple arien, une des tribus occupera le pays qui deviendra l’Iran. Elle amènera avec elle les croyances de ses origines. Cependant, au contact des populations autochtones, elles connaîtront quelques variations : le Mitra védique deviendra le Mithra avestique.

Le Mithra avestique

Les avatars de Mithra seront dus essentiellement à la réforme zoroastrienne. Dans les Gatha qui expriment la doctrine de Zoroastre, nous voyons apparaître un " uni théisme " moral : seul reste Ahura Mazda entouré de 6 archanges. Les deux premiers Vohu Manah “la bonne pensée” et Asha “l’ordre” laissant transparaître en filigrane le duo primitif Mitra-Varuna. Dans des textes plus récents apparaissent les “ anges ” Yazata, l’un de ceux-ci ayant pour nom Mithra. Un glissement se produit alors et nous voyons se recréer le couple antithétique primitif sous une forme mitigée, Ahura-Mazda étant le dieu suprême, Mithra lui étant subordonné et assumant une fonction guerrière du type de la deuxième fonction du système indo-européen.

Au Ve siècle avant notre ère, le couple antithétique Ahura Mazda / Mithra est rétabli, faisant de Mithra le deuxième dieu majeur, l’égal d’Ahura Mazda qui, bien qu’étant son créateur, fait de lui son clone. Strophe 1 : “Je le créai aussi digne du sacrifice et des prières que moi Ahura Mazda.” Mithra est décrit comme le dieu qui accroît, qui épand les eaux faisant pousser les plantes et donnant la vie. Mithra devient alors le lien entre les différents niveaux de la société ; comme le Mithra védique, il est le garant de l’ordre, le protecteur des éleveurs, dirige aussi ceux qui défendent le territoire. Il lève les armes, met en train la bataille, brise les bataillons rangés. Il est le plus fort des plus forts. Ahura-Mazda l’établi pour garder le monde et veiller sur lui. C’est le justicier, le dieu de l’aurore, le dieu sauveur et solaire, prémices de ce qu’il deviendra dans le monde Gréco-Romain : le deus invictus, le dieu invaincu.

Le Mithra gréco-romain et hellénistique

Le cheminement de la religion, mithriastique, de l’Orient vers l’Occident, suit les cours du soleil. En Asie mineure, de nombreux rois d’origine iranienne ont transmis à l’Occident un Mithriacisme hellénisé. Mithridate ou Mitradates “don de Mithra”, un nom théophore, est souvent porté par des rois du Pont, d’Arménie, de Comagène, signe de leur vénération pour Mithra qu’ils considèrent comme le garant divin de leur autorité. On ne doit pas oublier que le monde asiatique proche de la Grèce a été hellénisé sous l’influence des dynasties issues d’Alexandre le Grand, favorisant un retour du culte de Mithra. Les correspondances existantes avec les religions à mystères ont aussi joué de concert pour restaurer celui de Mithra. Hermès était le “ protecteur des êtres ”, Apollon celui des choses. Un exemple fameux est constitué par l’inscription qu’Antiochus 1er, roi de Comagène, fit graver dans la ville de Nimrud Dagh en Turquie :

Mithra en Italie

Une datation nous est fournie par Plutarque pour qui ce culte s’est installé en Italie en l’an 67 avant J-C. Il aurait été “ importé ” par des pirates siliciens, anciens alliés du roi du Pont Mithridate VI Europator, empoisonné par les Romains dans un camp en Italie. Nous pensons, suivant Posidonus, que ces pirates, vaincus par Pompée, étaient conduits par des officiers de Mithridate qui auraient créé des cellules para-militaires secrètes qui constitueront la base du futur système des initiations propres au culte de Mithra. Toutefois, une autre origine issue de la tradition littéraire hellénistique, liant le culte de Mithra aux Mages zoroastriens, est aussi concevable. La possible influence des Mages expliquerait le glissement vers la religion à mystère du culte de Mithra. Ce dont on est sûr est que le culte était réservé aux hommes avec un mode d’organisation militaire, ce qui a favorisé dans un premier temps son développement dans les garnisons. Le Mithra romain va évoluer et parvenir à une religion messianique, rivale du Christianisme.

L’iconographie mithriaque

Le Mithriacisme nous est connu essentiellement par son iconographie. L’étude des monuments de l’époque, tous abondamment décorés, est essentielle pour la compréhension du culte gréco-romain de Mithra. Les représentations symbolisent une crypte ; ainsi peut-on parler de “ religion de la crypte ” lorsqu’on parle du culte de Mithra. L’iconographie ne représente pas des divinités mazdéennes, mais leurs correspondances romaines. Les bas-reliefs sont disposés de la manière suivante :

Partie basse :
Le chaos dominé par un dieu cosmique : l’antique Saturne, assimilable à Ahura Mazda, lumineux et scientifique, il agit par son action sur le chaos, le mettant en ordre (ordo ab chaos).

Sur le côté :
Le ciel et la terre, portés par Atlas, lumineux et juriste. Les 3 Parques représentent la triple déesse Anahita, sagesse, force et beauté, symbolisant le destin. Saturne, Ahura-Mazda crée son "clone" : Jupiter -Mithra - qu’il dote de l’arme absolue : la foudre.

Atlas a pour fonction de terrasser les géants anguipèdes, cavaliers soutenus par un personnage monstrueux à corps humain aux extrémités bifides, souvent en forme de serpent, les démons qui, sous les ordres d’Arhiman, la puissance maléfique, dominent la création : le ciel et la terre.

Dans l’iconographie romaine, Mithra n’est plus le second dieu majeur ; il devient un dieu secondaire, un archange que l’on peut identifier à Spenta Maïniu, le dieu bénin, envoyé sur terre pour sauver les créatures de l’emprise du dieu Malin, Angra Maïniu Arhiman, créateur de la matière. Mithra va prendre en charge la création pour la sauver d’Arhiman, son créateur qui a voulu se faire l’égal du Père. Mithra sort miraculeusement d’un rocher comme un estoc que l’on dégaine, il est le Sauveur, le fils du Père, envoyé par lui sur la terre pour sauver l’humanité.

Mithra tauroctone (grec tauro ktonos, qui tue le taureau)

Ce mythe est représenté sur de nombreuses stèles trouvées sur les lieux consacrés au culte de Mithra ; un bel exemple est visible au musée archéologique de Strasbourg, elle fut exhumée à Roenigshoffen. On remarque sur ces stèles que Mithra doit fournir l’humidité fécondant le monde. Le taureau est l’animal qui la possède ; dans sa poursuite de la bête, Mithra l’oblige à sortir d’une maison où elle s’est réfugiée et, pour l’obliger à fuir, il incendie son refuge. Mithra se saisit alors de la bête, la maîtrise pour la chevaucher comme s’il s’agissait d’un cheval dompté ou la porte généralement sur son dos, la tête en bas ou la tirant par les pattes arrière.

Mithra taurophore accomplit alors l’épreuve du “passage du Dieu” : le transitus dei, comme tout mithriaste le fera, portant son propre fardeau. Puis Mithra, dieu vainqueur, se rend dans une grotte pour y sacrifier le taureau, obéissant ainsi à l’ordre des dieux transmis par le corbeau, messager du Soleil, ce corbeau se transformera, plus tard, en blanche colombe. Mithra immobilise l’animal d’une main, le tient par le naseau, et appuie un pied sur son paturon ; de l’autre main, il enfonce son couteau au défaut de l’épaule. Dès que le sang jaillit de la plaie, un serpent et un chien viennent le boire ; au même moment un scorpion, parfois un crabe, attaque les parties génitales de la victime. Des épis de céréales sortent également de la blessure et de la queue. Souvent un lion vient près du vase dans lequel s’est écoulé le sang. Tout autour de la scène des arbres croissent et se ramifient.

Il peut être intéressant à rapprocher ces pratiques rituelles anciennes de celles auxquelles on assiste de nos jours dans la tauromachie. Le torero revêt un "habit de Lumière" ; il est en l’occurrence le messager du Soleil. La mort de l’animal est l’épreuve du "passage du dieu". L’initiation de celui qui porte cet habit de lumière est réalisée par la substitution de "l’humidité fécondant le monde" (la semence). Le torero tue le taureau avec une épée (flamboyante ?) en l’enfonçant au défaut de l’épaule. Il est l’homme transcendé par l’acte - resterait, bien entendu, à expliquer le symbolisme de l’offrande des oreilles et de la queue.

Le Mithra cosmique ou Sol invictus

Très souvent, au-dessus de la scène principale de la tauroctonie, on peut voir des scènes secondaires où Mithra devient héliodromus, “courrier du soleil”, et l’on peut lire la dédicace de “sol invictus”.

Examinons aussi les images qui entourent la tauroctonie ; nous voyons un soleil à droite, côté sud, qui est le pendant, à gauche, côté nord, d’une lune, ronde, indo-européenne - en Orient elle a la forme d’un croissant - d’où s’écoule le "Principe humide ” émanant du taureau. Aux quatre angles du panneau, nous découvrons les 4 grands vents : Eurus à l’Orient, Zephir à l’Occident, Notus au Midi et Borei au Septentrion ; ils représentent les “ 4 Hermès ”, les “4 vents de l’Esprit” qui viennent des 4 Orients qui soufflent sur l’animus, en grec le “nous“ qui rend parfait.

Les Dadophores (Les porteurs de torches)

Dans ces représentations, Mithra est souvent représenté, flanqué de deux personnages, tout comme lui habillés comme un Perse : tunique courte, retroussée et ceinture, la tête coiffée du bonnet phrygien. L'un lève sa torche, l’autre l’abaisse ; ce sont les porteurs de torches, les dadophores : Cautes qui tient la torche levée et Cautopates qui tient la torche abaissée, soleil montant minuit - midi, soleil descendant midi - minuit. Parfois les dadophores tiennent dans leurs mains l'un une tête de taureau l’autre une tête de scorpion ; il s’agit des signes du zodiaque qui marquent l’entrée, le premier dans la saison chaude, le second dans la saison froide.

Le temps Léontocéphale (personnage à tête de lion)

Au palais Barberini, on distingue sur la fresque mithraïste située au-dessus de la tauroctonie, un dieu ailé, enlacé par un serpent qui s’enroule dans un mouvement sinistrogyre, c’est le temps cosmique (grec : Aion). Dans d’autres représentations, on trouve une statue, surmontée d’une tête de lion. Parfois ce lion crache du feu, tient dans ses mains deux torches, deux clefs ou un sceptre, les deux pieds posés sur un globe armillaire, assemblage de cercles représentant le ciel et le mouvement des astres et au centre desquels un globe figure la terre.

Les cryptes, où se déroulait le culte de Mithra, nous révèlent une iconographie abondante dont la symbolique est conforme au mouvement gnostique de ce début de l’ère vulgaire. Nous sommes à une époque favorable aux mouvements messianiques. Mithra incarne l'un de ceux-ci ; il est représenté comme "Dieu, le Fils”, délégué sur terre par "Notre Père". Il est le "Sauveur" qui vient nous arracher à la matière et au mal pour nous abreuver à la fontaine de l’esprit. Mithra est le "soleil invincible", le pater patrum, le "Père des Pères" qui nous guide jusqu’à l’initiation suprême.

Le culte

Le culte de Mithra était celui d’un ordre initiatique fermé, sélectif, élitaire, où les divers degrés d’initiation comportaient la révélation de secrets inconnus des membres des degrés inférieurs. Il se distinguait des religions de masse du type oriental où tout pouvait être transmis à tous. La loi du silence était la règle - silence et secret si bien gardés que l’on est aujourd’hui obligé de gloser sur des documents peu nombreux et souvent obscurs. Pour comprendre la religion de Mithra, il faut se remémorer les courants gnostiques qui pratiquaient une pensée symbolique orientée vers l’éternité.

Servir Mithra obligeait l’initié à aider non seulement la communauté des croyants mais l’humanité tout entière pour la conduire sur la voie du salut et du bien. Culte secret, réservé à une élite, il conduisait à la lumière. Tous ne pouvaient être initiés, ce qui reste valable de nos jours pour les organisations initiatiques. Les Mithraea locaux consacrés au culte de Mithra ont un élément particulier. On peut les trouver aussi bien à la campagne, dans un lieu reculé, que dans un recoin secret d’une ville ; ce qui prévalait pour le choix du lieu était vraisemblablement la possibilité de le garder le plus secret possible.

Description d’un Mithraeum

Généralement il avait l’aspect d’une “grotte” ou d’une “crypte”. Il était recouvert d’une voûte percée de trois ouvertures rectangulaires constellées d’étoile avec un zodiaque de 12 maisons identiques. À l’Orient, fond du Temple, se trouvait une grande pierre cubique derrière laquelle se tenait l’officiant. Proche de cette pierre, de taille plus modeste, une autre pierre tenait lieu d’autel, là où les mystes venaient prendre leur engagement. Au centre, une volumineuse pierre cubique sculptée représentait Mithra tauroctone. Sur ou à côté de cette pierre centrale, des bases de pierres recevaient 3 colonnettes en triangle, rappel de celles des chapitres avestiques trouvés en Egypte : signification symbolique des 3 colonnes Sagesse, Force et Beauté, soutenant le Temple. Sur les côtés, on pouvait voir deux rangées de pierres surélevées, pouvant servir de bancs ou de lits aux initiés prenant leur repas commun, à demi couchés. Ces agapes étaient rituelles et rappelaient celle du dieu avec le soleil. Au fond de la crypte brillait, dans une alcôve toujours illuminée une statue, en pied ou en buste, ou bien un portrait de Mithra coiffé du bonnet phrygien, ou encore son symbole solaire encadré d’un soleil et d’une lune.

Dans les Mithraeum les plus ornés, nous trouvons des fresques ou des reliefs représentant Mithra saxigenus “né de la pierre”, sortant du rocher. À l’Occident, encadrant l’accès à la nef, une porte à deux battants, deux statues, celle de Cautes et de Cautopates. Avant d’entrer dans la nef, sur le parvis, les initiés se purifiaient à l’eau bénite et revêtaient les décors rituels correspondant au degré d’initiation auquel se déroulait la cérémonie. Les Mithraeum sont généralement petits, faits pour recevoir 15 à 30 mystes. Toutefois, certains pouvaient accueillir jusqu’à 100 adeptes. Nous sommes en présence d’une pratique ésotérique d’une religion, un culte pour de petits groupes d’initiés, unis par leur degré d’initiation. Les lieux de culte sont nombreux ; cette prolifération est due vraisemblablement à des essaimages fréquents et à la dispersion des lieux de garnison des légions.

Les degrés d’initiation

Pour intégrer un groupe de croyants il fallait être coopté, présenté au groupe et accepté ; il fallait effectuer un apprentissage du culte et subir les épreuves de l’initiation. La hiérarchie initiatique comportait 7 degrés :

1er : corax (corbeau) ; 2e : Nymphus (Promis) ; 3e : Miles (soldat) ; 4e : Leo (Lion) ; 5e : Persa (Perse) ; 6ème Heliodromus (Courrier du Soleil) et 7ème : Pater (Père).

Chacun de ces degrés était placé sous la protection d’une planète : Mercure pour le Corax, Vénus pour le Nymphus ; Mars pour le Miles; Jupiter pour le Leo ; Lune pour le Persa ; Soleil pour l’Héliodromus ; Saturne pour le Pater.

Corax

Le grade de Corax marque l’entrée dans le monde de l’initiation et du sacré. Le corbeau est présent dans de nombreuses religions : Druidisme, Judaïsme. L’oiseau n’est pas naturellement doté de la parole, mais il peut apprendre ; il peut également se métamorphoser en oiseau blanc, la colombe. Il est le médiateur, il mènera le myste du monde profane à celui du divin.

Dans le mythe de Mithra, c’est un corbeau qui est le courrier du soleil ; il vient avertir Mithra qu’il doit mettre à mort le taureau dans un acte sacrificiel. Sur certaines fresques ou bas-reliefs, on voit le myste se présenter “ semi nudus ”, à demi nu, les yeux couverts d’un voile pour être créé, constitué par le Pater, qui le reçoit à l’aide d’une l’épée flamboyante. Le myste est agenouillé, genou droit à terre, le genou gauche relevé, vêtu d’une courte tunique blanche à bande rouge. Sur d’autres représentations, l’on peut voir le “don de la Lumière”, moment où l’officiant ôte le bandeau au futur Corax. Le nouvel initié peut voir la représentation d’un meurtre fictif ; le mort, tête à l’Occident, corps taché de sang est surmonté d’un glaive ensanglanté, tenu par un Miles (soldat, 3e grade).

Nymphus

Le candidat au grade de Nymphus est introduit dans le temple, enveloppé d’un voile épais dont on le débarrasse au cours du rituel pour le faire reconnaître des participants ; ce grade consiste en un mariage entre le dieu et l’initié.

Miles

À ce grade, il est procédé au tatouage d’un motif à l’aide d’un fer rouge au centre du front ; c’est le symbole de l’escarbouche, le 3e œil sur le front d’un être devenu parfait. Dans le cours de la cérémonie, une couronne lui est présentée à la pointe de l’épée ; il doit la faire dévier sur son épaule tout en prononçant la phrase rituelle : “ Mithra est ma vraie couronne ”. Refusant d’être couronné, le myste devient alors soldat de Mithra. Le mythe lui-même constitue une épreuve : menace de mort, suivie de résurrection, symboles très communs des rituels initiatiques. Le “ Miles ” reçoit également un sac qui était posé sur son épaule.

Leo

Cette cérémonie est dominée par le feu. Les mains du récipiendaire sont lavées avec du miel pour ne pas utiliser de l’eau, contraire au feu. Du miel est aussi déposé sur sa langue pour le purifier de tout péché. Le feu symbolise le feu sacré qui anime les Êtres, qui les rend différents des autres créatures. Les "Leo" entretiennent les feux dans les Mithraeum et subissent des épreuves par le feu. Ils sont souvent représentés avec une pelle à feu, arme de foudre jovien.

Persa

L’officiant purifie les mains des "Persa" à l’aide de miel. Toutefois, au nom d’un autre symbolisme, le myste reçoit le miel en tant que " gardien des fruits ". Le miel est le sucre conservateur ; il va de la Lune à la semence du taureau ; il fait pousser les plantes et les arbres portant des fruits par le sang répandu. Le "Persa"tient souvent des épis dans ses mains.

Heliodromus

Il a les attributs du Soleil : flambeau, couronne radiée et fouet. Il porte un vêtement rouge vif et tient un globe de couleur bleue. Il tient un rôle solaire. Celui qui reçoit ce grade ne devient pas Helios ; il est rattaché à Helios. Sur des tablettes magiques, on trouve Heliodromos ; cela s’applique à celui qui fait la course du soleil. Le courrier solaire est subordonné au Pater ; tout comme le soleil, c’est à Mithra, le véritable Sol invictus.

Pater

Il porte une mitre de type bonnet phrygien à trois étages symbolisant les “tria loca”, les “trois mondes”. Cette coiffe, œuvre d’art faite de perles, très élaborée, l’identifie à Mithra. Ses signes distinctifs sont : la serpe de Saturne. Il tient un objet que l’on compare souvent à une coupe de libation. Dans l’autre main, il brandit une baguette, insigne du magister qui peut changer en or tout ce qu’elle touche. Un “Pater” était élevé à ce grade par un autre Pater ou par le Pater Patrum, le “Père des Pères”, sorte de métropolitain. Détenteur de la coupe de libation, il était le responsable de la piété, le Pater sacrorum, le Père des rites.

Cette initiation à plusieurs degrés invitait vraisemblablement l’initié à étudier les symboles proposés qui lui signifiaient sa place dans le monde créé. Aucun d’entre eux n’était prêtre à “temps complet” : ils étaient immergés dans le monde profane, y travaillaient, pouvaient se marier et avoir une famille. La cérémonie du repas communautaire, héritage de la cène pythagoricienne, réunissait les mystes et les faisait participer à un acte sacré.

Dans cet acte, ils étaient aussi les fidèles héritiers de Zarathushtra qui assemblait ses disciples à midi et les renvoyait à minuit après un repas, pris en commun, et qui se terminait après avoir juré à Mithra de respecter la loi du silence sur tout ce qu’ils avaient vu, entendu et fait.

Dans la crypte, les fresques, les images, les représentations symboliques donnaient à ces hommes (les femmes n’étant pas admises à la célébration des mystères) des exemples, conformes à l’enseignement oral qu’ils recevaient et qui faisaient d’eux des initiés animés d’un idéal. Ils étaient sauvés par le "sang éternel”, arrachés par leur deuxième naissance au monde des créatures.

Idéologie et eschatologie du culte de Mithra

Une erreur est commune à de nombreux exégètes : le mythe de Mithra tauroctone reproduit une version des origines. Pour ces savants, les Zoroastriens attribuent à Arhiman, entité mauvaise, le sacrifice sanglant qu’ils réprouvent. Franz Cumont, grand spécialiste de Mithra, les conforte dans leur conviction qui veut que la mort du taureau soit primitivement provoquée par Arhiman, puis, ultérieurement, par le Mithra du Yash X, où ce dernier fait croître vie et prospérité. Mithra apparaît alors comme dieu sauveur de la création du monde matériel. Pour commettre une telle erreur d’interprétation il faut être conditionné par l’une des religions bibliques pour qui le monde matériel dans lequel nous vivons est l’œuvre d’un dieu unique.

Mais si l’on examine sans préjugés le Mazdéisme, on constate que l’on a affaire, comme pour la “gnose” indo-européenne primitive, à un dualisme. Il y a primitivement deux mondes. Les latins leur donnaient le nom de natura rerum - nature des choses matérielles, et de natura deorum - la nature des êtres ou des dieux. Il y a coexistence entre deux entités séparées, l’Esprit et la Matière, respectivement le bien et le mal, le blanc et le noir. Pour le Mazdéisme et les tenants de la “gnose” indo-européenne primitive, le monde de l’esprit est éternel, incréé, domaine du Bien et de l’Amour. Le monde matériel, créé par une divinité mauvaise, le démiurge, est transitoire, provisoire, destiné à périr à la fin des temps. Pour rendre ce modèle compréhensible aux profanes, le Mazdéisme imagine, en suivant ainsi la tradition indo-européenne, deux dieux majeurs : Ahura-Mazda, dieu cosmique qui règne sur le monde de l’Esprit où vivent les Êtres, ainsi que son "clone", ou jumeau, Mithra qui veille sur la nature des choses, le monde matériel qu’il ordonne et sépare du dieu mauvais qui l’a créé. Ce deuxième dieu : le rex mundi, le Père des bons esprits, est aussi celui que nous appelons Pater noster ; il est aussi Sator "le semeur", Soter "le sauveur". Il est aidé par deux archanges. Arhiman ou Angra Mainiu et Spenta Maina.

Mais Arhiman commet le péché d’orgueil : il dit "Je", se prenant pour l’égal d’un dieu, il crée la matière en se matérialisant, entraînant Daeva dans sa chute. Spenta Maïnu est resté fidèle, il a accepté de naître de la pierre pour mettre de l’ordre dans les choses créées par Angra Maïniu, il fait que l’Amour règne parmi les hommes, les aidant à sortir du monde de la matière pour revenir à celui de l’Esprit. Ainsi, pour le Mazdéisme la création n’est pas le fait d’un dieu mais d’un sous-dieu révolté contre son créateur. L’enfer, c’est le monde créé : nos corps ne sont que des " casaques de peau ", nos prisons charnelles. Dans ce cadre, l’homme est - comme plus tard pour les Cathares - un Eon incarné, l’initié est un tiers homme et deux tiers dieu, un corps neutre et mortel (corpus) une âme féminine (anima) et un esprit masculin (animus). En lui existe le numen neutre appelé par le grec pneuma, énergie sacrée dont nos esprits sont une parcelle provisoirement individualisée. Nous trouvons chez Platon dans le banquet une description de cet état.

L’aide du gnosticisme.

Pour comprendre le sens de l’iconographie et des écrits mithriaques, on doit aussi étudier les textes gnostiques, très voisins de cette religion. Dans la religion mithriaque, la tauroctonie est un acte de salut ; c’est par le sang répandu par Mithra que le myste est guidé vers la vraie vie éternelle. Dans le Mithraeum de Santa Prisca, on peut lire cette phrase : "Et nous, tu nous as sauvé en répandant le sang éternel". Dans les cryptes, l’on voit représentées des figurations du zodiaque qui donnent au sacrifice une grandeur cosmique et qui symbolisent la victoire de l’esprit sur la matière. Le Mithriacisme implique une véritable théo-cosmogonie et une doctrine de l’âme très voisine de celle de l’école philosophique du Portique, mais, à la différence du Stoïcisme, la gnose est présentée par un mythe porteur de symboles. Fidèle à ses origines indo-européennes, le Mithriacisme se représente la fin du monde matériel sous la forme d’un embrasement universel dans un flamboiement égal à la lumière de 100.000 soleils, thème commun au stoïcisme.

Dans le mythe de Mithra, ce dernier, après avoir immolé le taureau, monte sur le char du soleil. À la fin des temps, il renouvelle ce geste et purifie la création par le feu, libérant la matière qui retourne au néant primitif. Elle se fond dans l’Aïon, le temps léontocéphale, qui absorbe la création après l’avoir guidé vers le bien.

Conclusions

Comme presque toutes les religions issues de la source indo-européenne, le culte de Mithra est un culte fermé dont l’accès est réservé aux hommes, nés vraisemblablement libres et de bonnes mœurs, respectant le mos maiorum, “la coutume des anciens”. Mithra est un culte qui se développe dans les garnisons de Rome, un culte de guerriers, de soldats ; nous retrouvons en Maçonnerie une tendance comparable dans les loges militaires. Le dieu Mithra a été escamoté par la réforme Zoroastrienne, puis il est apparu à nouveau comme second dieu majeur, enfin, il est le seul dieu honoré à l’époque de l’Empire romain, au début de l’ère vulgaire. Il est ainsi en opposition sérieuse avec le Christianisme qui a une position forte auprès de certains milieux. Après la victoire de Constantin sur Maxence par le fer, le feu et la torture, ce fut le triomphe du Christianisme, victoire militaire et politique qui n’empêcha toutefois pas l’essence de la gnose de se transmettre jusqu’à nos jours grâce à des sociétés initiatiques. Il y a toujours des hommes qui, sous la conduite d’un Maître, se réunissent pour travailler à se perfectionner de midi à minuit, et qui se séparent après un banquet fraternel semblable à celui auquel le soleil et Mithra conviaient le paraclet Ahura-Mazda.

Le culte du dieu Mithra est un des plus anciens du panthéon des divinités adorées par les hommes. Il a commencé plus de 2000 ans avant notre ère. Actuellement en 2004 on trouve encore plus de 200.000 Parsis et Guèbres qui pratiquent le mazdéisme officiel en Iran, en Inde et au Pakistan, religion dans laquelle Mithra occupe une place centrale. Fabuleux destin pour ce dieu Indo-Européen qui, malgré l’épreuve du temps, perdure encore.

Peut-on dès lors considérer Mithra comme le-un dieu franc-maçon de l’Antiquité ainsi que le publiait le magazine "Allez savoir", titre qui fût vraisemblablement suggéré à son auteur par l’ouvrage du Professeur Robert Turcan "Les cultes orientaux dans le monde romain" ? À la page 241, dernière phrase de la partie de ce livre intitulé "sous les rocs de l’antre persique", le professeur qualifie en effet le culte de Mithra d’espèce de Franc-maçonnerie, un vocable des plus large…

Le Mithraïsme était, certes, une religion à mystère qui comportait les principales caractéristiques de ces cultes, une hiérarchie sacerdotale à degrés où l’initié recevait, à chaque passage de grade, une révélation partielle de la connaissance. Le culte se déroulait dans un lieu fermé sous une voûte étoilée, percée de trois ouvertures. Les mystes, lors des agapes, sont étendus sur les banquettes, tête vers l’Orient d’où Mithra le lumineux éclaire l’assemblée. De nombreuses analogies du culte et du temple de Mithra avec le temple maçonnique et avec l’initiation de notre ordre peuvent être envisagées au terme de cette étude. Ces caractéristiques troublantes, ajoutées au système de fratrie qui unit les mystes et aux pratiques rituelles suffisent-elles au culte de Mithra à constituer une sorte de Franc-maçonnerie et à suggérer qu’il existe un Dieu pour les Francs-maçons ?

La réponse est dépendante de l’image que l’on se fait de la Franc-maçonnerie, mais rien n’est moins sûr. Un dieu, défini par le Petit Robert comme principe d’explication de l’existence du monde et conçu comme un être personnel selon des modalités particulières aux croyances, aux religions, peut-il être “franc-maçon” ?

La réponse varie selon que l’on s’adresse à la Franc-maçonnerie anglo-saxonne ou continentale. Pour la première, il n’y a pas de Dieu spécifique des Francs-maçons puisque le Dieu est celui d’une des religions révélées, même si l’on y envisage plus spécifiquement son rôle créateur.

Dans la Franc-maçonnerie continentale, le symbole du Grand Architecte de l’Univers permet de très amples et parfois divergentes interprétations, ce qui fait que le terme de Dieu des Francs-maçons fait plutôt sourire.

Par ailleurs, les attributs de Mithra, le contenu de son culte et sa signification sont très éloignés des aspirations de la Franc-maçonnerie. Celle-ci ne propose aucune rédemption au sens que ce terme a dans le Christianisme. Quant aux degrés de l’initiation maçonnique, ils se présentent plutôt comme la suite de symboles et mythes conduits à stimuler la réflexion ou à fonctionner comme exercices spirituels que comme étapes vers une libération de type métaphysique. En ce sens, les deux premiers degrés de la maçonnerie sont plus proches d’une figuration allégorique et symbolique de la philosophie - non restreinte à la morale - que de celle, eschatologique et cosmique, des Mystères antiques. La Maçonnerie peut être ainsi perçue comme une sorte de recueil graphique s’inspirant de grandes leçons de la philosophie, notamment celle de l’Antiquité, qui cherchait avant tout à transformer l’Homme par une voie individuelle.

Ainsi, la signification profonde du culte de Mithra, même si l’on n’en connaît pas encore tous les arcanes, n’évoque aucune résonance profonde chez le Maçon. Le dualisme du bien et du mal, qui est celui du gnosticisme, est largement remplacé dans notre ordre par le couple ignorance, erreurs et préjugés d’une part, connaissance rationnelle et vérité d’autre part.

Mais ne concluons pas définitivement et laissons au lecteur la liberté de se faire lui-même son opinion.






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