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1844 - "Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes" par Bègue-Clavel


(Navire de commerce phénicien)


HIRAM DANS...

HISTOIRE PITTORESQUE DE LA FRANC-MAÇONNERIE 
ET DES SOCIÉTÉS SECRÈTES

Par F.T. Bègue-Clavel

PAGNERE, EDITEUR

PARIS

1844

(Extrait)


« Bien que, d'après nos traditions, Salomon soit le fondateur de la franc-maçonnerie, !e personnage qui joue le principal rôle dans la légende est Hiram, l'architecte du temple de Jérusalem. Hiram, le même qu'Osiris, que Mithra, que Bacchus, que Balder, que tous les dieux célébrés dans les mystères anciens, est une des mille personnifications du soleil. Hiram signifie en hébreu : vie élevée ; ce qui désigne bien la position du soleil par rapport à la terre. Selon l'historien Josèphe, Hiram était fils d'un Tyrien nommé Ur, c'est-à-dire feu. On l'appelle aussi Hiram-Abi, Hiram père, comme les Latins disaient : Jovis pater, Jupinpère; Liber pater, Bacchus père. Mais alors il existe, entre Hiram et Hiram-Abi, la même différence que chez les Égyptiens, par exemple, entre Horus et Osiris. Celui-ci est le soleil qui s'éteint au solstice d'hiver; celui-là, le soleil qui renaît à la même époque.

« Hiram est représenté comme le chef des constructeurs du temple de Salomon. Cette allégorie maçonnique se retrouve dans les fables du paganisme, et jusque dans la Bible. Dans les premières, on voit Apollon, ou le soleil, travailler comme maçon à la construction des murs de Troie, et Cadmus, qui est aussi le soleil, bâtir Thèbes aux sept portes, qui avaient les noms des sept planètes. L'Edda des Scandinaves parle d'un architecte qui propose aux dieux de leur construire une ville, et leur demande pour salaire le soleil et la lune. Dans la Bible, on lit, au livre des Proverbes, ces paroles significatives : « La souveraine sagesse a bâti sa maison ; elle a taillé ses sept colonnes. » Vous remarquerez en outre qu'on saupoudrait de plâtre le récipiendiaire dans certaines initiations anciennes ( Les noms d'architectes que nous a transmis l'antiquité : Chemmis, Dorus, Satyrus, Pithée, Briassis, Trophonius, Agamède, Dédale, Deucalion, Thésée, Callimaque, etc., sont autant de noms du soleil et de la lune. La construction du temple d'Apollon à Delphes est attribuée à Agamède et à son frère Trophonius. Plutarque dit que, lorsque le temple fut achevé, les deux frères demandèrent au dieu leur récompense. Apollon leur ordonna d'attendre huit jours, et de faire bonne chère jusque-là. Ce terme arrivé, on les trouva morts. Le dieu Scandinave Thor tue également les deux architectes qui demandaient, à titre de salaire, le soleil et la lune pour bâtir une ville aux immortels).

« Pendant le cérémonial qui s'est accompli, mon frère, à votre triple réception, nous avons figuré la révolution annuelle du soleil, et vous avez représenté cet astre. Le même rite était en usage dans les anciennes initiations.

« Le mythe des trois grades maçonniques embrasse les principales divisions de la course annuelle du soleil. Le premier grade se rattache au temps qui s'écoule entre le solstice d'hiver et l'équinoxe du printemps; le second, au temps compris entre l'équinoxe du printemps et l'équinoxe d'automne, et le troisième, au temps qui suit, jusqu'au solstice d'hiver.

« Aspirant, vous avez d'abord été placé dans un lieu de ténèbres et entouré des images de la destruction ; vous en êtes sorti les yeux couverts d'un bandeau, et à moitié nu. Toutes ces circonstances faisaient allusion au soleil d'hiver sans lumière, sans chaleur et sans force ; à la nature triste et dépouillée de ses ornements accoutumés. Vous étiez alors l'Horus des Égyptiens, l'Iacchus des Athéniens, le Casmilus de Samothrace; eu un mot, le soleil renaissant. On vous a introduit dans le temple ; vous y avez fait trois voyages, au milieu du bruit, des secousses réitérées qu'éprouvait le sol sur lequel vous marchiez; vous avez été purifié par l'eau, par le feu; vos yeux se sont ouverts à la lumière. Ne reconnaissez-vous point là les vicissitudes des trois mois de l'année que traverse le soleil au commencement de sa révolution, les ouragans, les pluies, et enfin le printemps qui rend la paix, la vie et la clarté à la nature? Le frère terrible qui vous accompagnait et vous soumettait aux épreuves, c'est Typhon, le méchant frère d'Osiris, le mauvais principe, qui lutte constamment contre la lumière et sa chaleur vivifiante. « La réception au grade de compagnon offre une continuation de la même allégorie. Là, vous n'étiez plus cet apprenti qui dégrossit la pierre brute, ou le soleil qui jette des semences de fécondité dans une terre nue et sans grâce ; vous étiez l'ouvrier habile qui donne à la matière des formes élégantes et symétriques. Vous avez accompli cinq voyages, puis un sixième, et alors on vous a communiqué une parole qui signifie épi, pour vous rappeler l'action fécondante du soleil pendant les six mois qui s'écoulent entre les deux équinoxes.

« Au grade de maître, où vous venez d'être reçu, la scène se rembrunit, et, en effet, à l'époque où l'on est arrivé, le soleil commence à redescendre vers l'hémisphère inférieur. La légende que l'on vous a racontée rapporte que, le temple étant presque achevé, c'est-à-dire que le soleil étant parvenu aux trois quarts de sa course annuelle, trois mauvais compagnons, les trois mois d'automne, conspirèrent contre les jours d'Hiram-Abi. Pour consommer leur attentat, ils s'apostent aux trois portes du temple, situées au midi, à l'occident et à l'orient, les trois points du ciel où paraît le soleil ; et, au moment où Hiram, ayant achevé sa prière, se présente pour sortir à la porte du midi, un des trois compagnons lui demande la parole sacrée, qu'Hiram est alors dans l'impuissance de donner. La parole, je vous l'ai dit, c'est la vie : la présence du soleil dans sa force provoque, en effet, les acclamations, les chants de tout ce qui respire ; son absence rend tout muet. Hiram ayant refusé de donner la parole, est aussitôt frappé à la gorge d'un coup de règle de vingt-quatre pouces. Ce nombre est celui des heures de la révolution diurne du soleil. C'est l'accomplissement de cette division du temps, celle du jour en vingt-quatre heures, qui porte le premier coup à l'existence du soleil. Hiram s'imagine pouvoir fuir par la porte de l'occident; mais, là, il rencontre le second compagnon, qui, sur son refus de lui donner la parole, le frappe au cœur d'une équerre de fer. Si vous divisez en quatre parties le cercle du zodiaque, et que, de deux points de section les plus rapprochés, vous tiriez deux lignes droites convergentes vers le centre, vous aurez une équerre, c'est-à-dire un angle ouvert à 90 degrés. Le second coup porté au maître fait donc allusion au préjudice que porte au soleil la seconde distribution du temps, celle de l'année en quatre saisons. Enfin, Hiram-Abi, espérant pouvoir fuir par la porte de l'orient, s'y présente. Il y trouve le troisième compagnon, qui, après lui avoir, lui aussi, demandé vainement la parole, le frappe au front d'un coup mortel avec un maillet. La forme cylindrique du maillet figure l'accomplissement total du cercle de l'année.

« Les circonstances qui suivent sortent de ce principal thème, bien qu'elles aient toujours rapport à la mort fictive du soleil.

« A peine les compagnons ont-ils consommé le meurtre d'Hiram, que déjà ils éprouvent des remords et des craintes, et qu'ils songent à faire disparaître les traces de leur crime. D'abord ils cachent le cadavre sous des décombres, image des frimas et du désordre qu'amène l'hiver ; puis ils vont l'enterrer sur le mont Liban. Il est à remarquer que cette montagne joue un rôle important dans la légende d'Adonis ou Adonaï, dont les mystères, établis chez les Tyriens, s'étaient introduits parmi les juifs, qui avaient donné au dieu le nom de Thammuz. C'est sur le mont Liban qu'Adonis avait été mis à mort par un sanglier, emblème de l'hiver, comme le fait voir Macrobe; et c'est là qu'il avait été retrouvé par Vénus en pleurs.

« Hiram ne reparaissant plus, Salomon envoie à sa recherche neuf maîtres, figure des neuf bons mois de l'année. Arrivés sur le mont Liban, ils découvrent le corps inanimé d'Hiram, que les trois mauvais compagnons y avaient enseveli. Ils plantent sur la fosse, qu'ils ont recouverte, une branche d'acacia, arbre que les anciens Arabes avaient, sous le nom d'huzza, consacré au soleil. C'est le rameau de myrte de l'initiation grecque; le rameau d'or de Virgile , le gui des Gaulois et des Scandinaves, l'aubépine des chrétiens. Enfin, après que le cadavre du maître a été exhumé, la parole sacrée est changée; car c'est un autre soleil qui va naître.

« Telle est en substance, mon frère, cette allégorie de la maîtrise, dont les traits fondamentaux se retrouvent dans les fables d'Osiris, d'Adonis, de Bacchus, de Balder et de tous les autres dieux célébrés dans les mystères de l'antiquité. Dans toutes, c'est un homme vertueux qu'on assassine , dont on veut cacher la mort ; ce sont des recherches ; c'est une sépulture sur laquelle s'élève une plante : c'est, en un mot, la même pensée.

« Dans votre réception au grade de maître, nous avons mis en action l'histoire d'Hiram-Abi. Vous êtes entré à reculons dans la loge, pour figurer la marche rétrograde du soleil d'hiver. On vous a successivement conduit au midi, à l'occident, à l'orient, où, à l'imitation d'Hiram-Abi, vous avez reçu tour à tour les trois coups mortels. En recevant le dernier, votre cadavre fictif a été renversé dans une fosse, sur laquelle on a planté une branche d'acacia. Bien que les anciens initiés aient été fort sobres d'explications sur le cérémonial des mystères, nous trouvons toutefois dans les écrits qu'ils nous ont laissés des traces d'une cérémonie analogue. C'est ainsi que, d'après Lucien, il y avait dans l'initiation d'Adonis un moment où le récipiendaire se couchait à terre. A Chio et à Ténédos notamment, dans les mystères de Dionysius ou Bacchus (le soleil), les initiés, suivant Porphyre, commémoraient la fable de Bacchus mis à mort par les Titans; et « le dieu était représenté par un homme qu'on immolait. » Lampride, dans sa Vie de l'empereur Commode, nous apprend que ce prince, assistant aux mystères de Mithra, immola un homme de sa propre main ; mais l'écrivain a soin d'insinuer que ce n'était là qu'un simple simulacre, sans effusion de sang. Lorsque vous avez été placé dans la fosse, les deux surveillants, suivis des frères auxquels ils commandent, ont fait autour du cercueil, en commémoration de la recherche du corps d'Hiram, deux tours en sens opposés, l'un d'orient en occident, l'autre d'occident en orient. D'après Celse, cité par Origène, les mithriades accomplissaient dans leurs mystères une procession du même genre, « pour représenter le double mouvement des étoiles fixes « et des planètes. » Ce cérémonial achevé, on a simulé sur votre personne l'exhumation d'un cadavre, ainsi que cela eut lieu, suivant les légendes sacrées, pour les corps d'Hiram, d'Osiris et des autres dieux. Enfin, on vous a fait exécuter une marche qui rappelle celle du soleil dans l'écliptique, où il passe alternativement de l'un à l'autre côté de la ligne équinoxiale, indiquée dans cette loge par le tombeau d'Hiram-Abi.

« Les ornements dont vous êtes décoré rentrent dans l'allégorie solaire, comme les autres circonstances de votre réception. Votre tablier, par sa forme semi-circulaire, figure l'hémisphère inférieur. Le cordon que vous portez de l'épaule gauche à la hanche droite est la bande zodiacale; la couleur en est bleue, parce que, de même que les anciens initiés, les francs-maçons affectent cette couleur aux signes inférieurs du zodiaque. Le bijou suspendu au bas de votre cordon se compose d'un compas sur une équerre. Le compas est l'emblème du soleil; la tête figure le disque de cet astre; les branches en représentent les rayons. L'équerre fait allusion à cette portion de la circonférence de la terre que le soleil éclaire de son zénith.

« Dans toutes les cérémonies qui s'accomplissent en loge, vous reconnaîtrez constamment la même pensée. Ainsi, notre association s'est mise sous l'invocation de saint Jean, c'est-à-dire de Janus, le soleil des solstices. Aussi est-ce à ces deux époques de l'année que nous célébrons la fête de notre patron, avec un cérémonial tout astronomique. La table à laquelle nous prenons place a la forme d'un fer-à-cheval,et représente figurativement la moitié du cercle du zodiaque. Dans les travaux de table, nous portons sept santés; ce nombre est celui des planètes, auxquelles les anciens initiés offraient aussi sept libations.

« Il y a encore dans la franc-maçonnerie un autre point de similitude avec les doctrines des initiations de l'antiquité ; c'est l'emploi des nombres mystiques, mais restreint aux impairs, comme les plus parfaits : Numero Deus impare gaudet. Pour ne pas prolonger davantage cette explication, déjà trop étendue, je ne vous déroulerai pas ici la théorie complète de ce genre de symboles; vous la trouverez dans les Vers dorés , dans Macrobe, dans Aulu Gelle, et, plus près de nous, dans Ticho-Brahé. Il vous suffira de savoir quant à présent que les âges emblématiques des trois grades qui vous ont été successivement donnés se rattachent à cette théorie : l'apprenti a trois ans, nombre de la génération, qui comprend les trois termes : agent, patient et produit ; le compagnon à cinq ans, nombre de la vie active, caractérisée dans l'homme par les cinq sens; le maître a sept ans, nombre de la perfection, par allusion aux sept planètes primitivement connues, qui complétaient le système astronomique; par allusion aussi aux purifications que les âmes subissaient en traversant les sept mondes, et qui les rendaient aptes à être admises dans le séjour lumineux, siége et foyer de l'âme universelle.

« Là s'arrête, mon frère, la véritable franc-maçonnerie , héritage précieux que nous a légué la vénérable antiquité. Au-delà , vous ne trouverez que vanité, déraison et mensonge. Les hauts grades prétendus ne sont que d'inutiles réduplications de la maîtrise, ou que des compositions dans lesquelles le ridicule le dispute à l'absurde. Les doctrines les plus décriées en forment généralement la base; on y enseigne, sous le voile d'indigestes allégories, la théosophie, la magie, l'art de faire de l'or; en un mot, toutes les sciences occultes, et qui sont, en effet, si bien cachées que ceux-là même qui les professent ne pourraient les définir. Voilà pour les grades qu'on appelle philosophiques. Quant aux grades historiques, vous ne sauriez croire ce qu'ils renferment d'assertions fausses et contradictoires et de honteux anachronismes. Certes, s'ils révèlent quelque chose, c'est, à coup sûr, l'ignorance de leurs auteurs. Je ne vous décrirai pas le cérémonial qui en accompagne l'initiation : si ceux de nos frères qui ont eu la vaniteuse faiblesse d'en ambitionner les rubans et les croix osaient se rappeler les formalités auxquelles il leur a fallu se plier lors de leur réception, ils rougiraient de ce qu'elles offrent de dégradant pour la dignité et pour l'intelligence humaines. Aussi faut-il attribuer la création de la majorité de ces grades aux secrets ennemis delà franc-maçonnerie. Le rose-croix, entre autres, est l'œuvre de la société des jésuites, au temps où elle eut accès dans les loges. Le kadosch templier et presque tous les grades chevaleresques ont été imaginés pour servir des intérêts politiques en opposition flagrante avec les doctrines fondamentales de notre institution. Les grades hermétiques ont eu pour motif un mercantilisme éhonté; et les indignes maçons qui les ont inventés y ont trouvé en réalité cet art de faire de l'or dont ils promettaient vainement le secret à leurs adeptes.

« Déjà, mon frère, je vous ai prémuni contre ces déplorables innovations, lors de votre initiation au grade d'apprenti. J'insisterai aujourd'hui sur ce point avec plus de force encore, parce que vous devez mieux comprendre, d'après ce que vous a dévoilé notre digne vénérable, et d'après ce que je viens de vous apprendre, combien est pressante la nécessité de débarrasser la franc-maçonnerie de superfétations qui la défigurent et la déshonorent, et qui entravent sa marche, au grand préjudice du progrès social. A l'œuvre donc, mon frère, si, comme je n'en doute pas, l'intelligence que vous avez du but de l'institution maçonnique vous a pénétré de l'enthousiasme du bien, de l'amour ardent de l'humanité, de ce saint dévoûment qui fait entreprendre et réaliser les grandes choses! A l'œuvre ! ralliez-vous au faisceau de ceux de vos frères qui veulent ramener la franc-maçonnerie à sa simplicité, à sa pureté primitives, pour la rendre plus capable d'accomplir en entier et dans un temps plus prochain la sublime mission qu'elle s'est donnée»

Ce discours achevé, le sac des propositions et le tronc de bienfaisance circulent. On ferme ensuite les travaux de la même manière et dans les mêmes termes qu'aux deux grades précédents.