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RIVOAL Les trois mauvais Compagnons

 


LES TROIS MAUVAIS COMPAGNONS


Christian Rivoal


Membre de la R∴ L∴ "Les Pèlerins du Graal" n° 91 à l'Or∴ de Rennes

A∴ L∴ G∴ D∴ G∴ A∴ D∴ L’U∴

GRANDE LOGE TRADITIONNELLE DE FRANCE

Rite Écossais Ancien et Accepté


ORDO AB CHAOS


Très Vénérable Maître et vous tous mes Vénérables Frères. 

La planche qui m’a été demandée de tracer ce soir par notre Très Vénérable Maître a pour titre :

Les trois mauvais compagnons

Au prononcé du titre de cette planche nous avons le sentiment que la messe est dite alors que nous sommes devant une commission d’infraction tantôt qualifiée de meurtre tantôt d’assassinat au visa d’une abondante littérature maçonnique qui nous invite de manière dogmatique à accepter la circonstance selon laquelle ces trois compagnons sont mauvais...

L’adjectif qualificatif « mauvais » indique le caractère d’une personne qui ne remplit pas correctement son rôle moral, social, qui ne fait pas bien son métier, qui n’accomplit pas correctement ses tâches. L’adjectif mauvais est souvent associé à la faute du salarié dans l’exercice de son contrat de travail..

Mais que vient faire cet adjectif « mauvais » dans cette procédure ?

En  agrégeant la notion de meurtre à l’adjectif "mauvais", la doctrine vient nous dire que le meurtre a certes été commis par des incapables. Cela ne fait pas de mystère, mais surtout nous invite à sortir d’une lecture binaire réductrice des faits de l’espèce.

 Je vous propose donc de reprendre le dossier point par point.

Ces trois mauvais compagnons, mais qui sont-ils ? Quels sont leurs mobiles ?

Qui est responsable de cet homicide ? Les  3 mauvais compagnons ? Les 3 officiers de ma R∴ L∴ ? La respectable loge en qualité de personne morale ?  Hiram lui-même ?

A qui profite le crime ?  La réponse à cette question nous donnera certainement la clef de cette énigme.

C’est ce travail d’introspection que je vous propose de partager en déclinant le plan suivant :


I) L’acte délictuel

Ia) Les parties en la cause

Qui est maître HIRAM ?

Qui sont les 3 mauvais compagnons ?

Ib) Faits et circonstances

Les faits

Enquête et mobiles


II) A qui profite le crime ?

IIa) La recherche de responsabilité.

Individuelle

Collective

IIb) Les bienfaits de l’homicide

Tous complices

Par ces motifs

 

Ia) Les parties en la cause :

Qui est le Maître HIRAM ?

Le nom d’Hiram est évoqué dans la Bible (I Rois, 7:13-14) comme étant un spécialiste du travail du bronze, « rempli de sagesse, d'intelligence et de connaissance », il s'occupa, à la demande du Roi Salomon, de la construction et de la décoration du Temple (« la maison de l'Éternel »).

C’était un homme de l’Art plein de douceur et de bonté, incarnant l’amour et la justice bienveillante.

Qui sont les 3 mauvais compagnons ?

Nous sommes en présence non pas de profanes, mais  de Compagnons qui ont subi avec succès les deux séries d'épreuves, des augmentations de salaire des précédents grades et suivis des années d'instructions !

La nature et la qualité de leur enseignement mérite de nombreuses critiques  car ils sont chargés d’orgueil, d’envie et d’avarice. Ils sont aveuglés par ces défauts qui souvent ajoutés à d’autres garnissent la besace du profane.

Nous sommes tous d’accord :  ne sont pas prêts à passer maître. 

Il sont mauvais certes :

Mais de là à commettre un homicide ? Il y a là un pas qui ne se trouve pas dans le rituel.  Sauf à considérer que la mort du profane lors de notre initiation et la mort du maître HIRAM sont de même nature.


Ib) Les faits et circonstances :

Trois frères choisis instruits et élevés au grade de compagnon par HIRAM tuent le père physiquement et rituellement.

Les faits :

En quel lieu ?

A l’intérieur du temple de Salomon. Temple sacré en voie d’achèvement.

De quelle façon ?

Chaque compagnon  s’est posté à chaque porte du temple aux fins d’interdire toute fuite de maître HIRAM.

Le premier compagnon armé d’une règle frappe HIRAM sur la tête mais le coup dérive sur l’épaule gauche. (L’emploi de la règle, symbole de droiture et de mesure, vient nous dire qu’il s’agit là d’une désobéissance délibérée). 

Le second compagnon armé du levier frappe HIRAM à la gorge (siège de la parole) mais le coup dévie et dérive sur l’épaule droite. (Nous y voyons là  le rejet du maître et de son enseignement) 

Le troisième compagnon armé du maillet frappe HIRAM sur le front, de la même manière dont il est procédé pour sacraliser la mort d’un pape. Rappelons-nous que le maillet est le premier outil confié à l'apprenti, symbole de la Sagesse agissante.

 A ce stade de l’exposé les 3 mauvais Compagnons occupent les 3 Portes, à la place des 3 officiers.


L’enquête et mobiles

Où sont passés les témoins ?

Bizarrement malgré une description détaillée de faits de l’espèce, il n’y a point de témoin connu, au moins un qui aurait pu intervenir pour sauver HIRAM. 

Pendant ce temps, que faisaient leurs Surveillants et leur T∴ V∴ M∴ ? Pourquoi n’ont-ils pas été interrogés au moins sur le profil des frères placés sous leur responsabilité et dont ils avaient la garde ? Qu’est devenu la responsabilité de la transmission de ce savoir et l’intérêt de la quête maçonnique ?

Ont-ils laissé faire ?

Les mobiles du crime : 

Quelles sont les motivations et la de responsabilité des 3 mauvais compagnons dans la mort d’Hiram car dans un premier temps seule la fuite des trois compagnons les ont rendu suspects.

Les compagnons sont curieux, ce n’est pas le salaire du maître qu’ils veulent s’attribuer mais le signe et l’attouchement pour terminer l’oeuvre entreprise par le Maître.

Vanité, Orgueil, Avarice. 


II) A qui profite le crime ?


IIa) La recherche de responsabilité :

La responsabilité des 3 mauvais compagnons :

Les trois compagnons ne cherchent pas à tromper HIRAM et l’abordent armes à la main de façon déterminée.  

La violence s’est abattue sur HIRAM alors que l’usage de la parole favorisant un dialogue consensuel a été absent de cet échange. 

Aucun des trois coups n’a atteint sa cible et aucun n’était mortel à lui seul. Aucun d’eux n’était seul capable de mener à bien ce forfait : 

Aucun des trois coups n’a été asséné «correctement», car les mauvais compagnons ne peuvent avoir le geste juste.

La légende donne de nombreux surnoms à ces trois mauvais compagnons, mais ce dont je suis certain c’est que ces trois compagnons sont les Pieds Nickelés du rituel :

R∴ibouldingue, F∴ilochard et C∴roquignol 

Voyez ces pauvres maladroits, aucun d’eux n’est l’unique coupable. Ils sont le côté obscur de l’ombre, l'échec, la trahison. Trahison du Serment, trahison des Principes de la Franc-Maçonnerie. 

La responsabilité collective de la R∴ L∴ 

Avec quels outils ont-ils accompli leur forfait ?  Les nôtres ! Les outils que nous leur avions confiés !

Si ces Compagnons ont réussi à concevoir et perpétrer leur crime, c’est nécessairement parce que la vigilance de leurs Maîtres et de la Loge a été prise en défaut. 

Ne devraient-ils pas comparaître à leur côté à tout le moins en qualité de témoin-assisté ?

S'il y a un mauvais Compagnon, il existe une certaine responsabilité de la Loge tout entière et plus particulièrement du T∴ V∴ M∴, du 1er et du 2nd Surveillant. 

Il y a eu une faute collective et on ne pourrait accuser simplement l'égarement individuel de chaque mauvais Compagnon.

Pourquoi éluder notre propre responsabilité qui est beaucoup plus grande que nous ne pouvions le supposer, car elle nous engage envers nous-même, envers nos frères. 

L’ennemi était donc parmi nous et personne ne s’en était aperçu ou personne n’a voulu s’en apercevoir ?

La responsabilité de maître HIRAM :

Autrement dit Hiram a-t-il contribué à la manifestation de son propre dommage ?

Le maître Hiram savait que les 3 compagnons n’étaient pas prêts et qu’en leur donnant le mot, le signe et l’attouchement des Maîtres maçons, il confiait aux 3 mauvais compagnons par le biais d’un contrat de maîtrise d’oeuvre déléguée un permis de démolition de l’édifice.

Hiram aurait pu faire le choix de faire table rase du passé, du temple, en faisant cela il aurait fait commerce avec le chaos et signé l’arrêt de mort de la Franc-Maçonnerie universelle. 

Mais l’ouvrage de Maître HIRAM est tracé avec l’équerre et le compas. Il a préféré mourir que de satisfaire aux demandes des trois mauvais compagnons. Maître Hiram s’est sacrifié pour assurer la stabilité de l’édifice.

L’homicide de Maître Hiram conduit donc à la question de la finition du Temple.  

Qui pourra le terminer si le savoir-faire du Maître est perdu ?


IIb) Les bienfaits de l’assassinat rituel d’Hiram

Tous complices :

Les trois compagnons, et sans être contredits, ont chacun asséné maladroitement à la victime des coups dont le résultat est un homicide. La présence dans le temple des 3 compagnons hors heures légales associée au blocage par leurs soins des portes de sortie du temple interdisant toute fuite d’HIRAM posent problème : ces deux derniers éléments plaident en leur défaveur.

La détermination à exercer ces violences est un des caractères de la préméditation. Pour cette raison la qualification de meurtre en bande organisée et avec préméditation a pu être retenue dans de nombreuses planches. 

Cependant, au regard de la personnalité déficiente de ce groupe de compagnons distraits de la garde et surveillance des officiers en charge, il sera nécessaire de rechercher d’autres causes à la commission de cet homicide que le résultat d’un mauvais comportement.

La mort de Maître Hiram représente la mort initiatique, qui avec la renaissance à un autre niveau de conscience permet de continuer la quête vers la lumière, la vérité et la liberté. 

L’initiation au Grade de Maître est la métamorphose du Compagnon qui après avoir été soupçonné d’être mauvais Compagnon apporte la preuve de son innocence et se voit appelé à ressusciter en la personne de l’architecte.

Le  mythe de Maître Hiram est donc l’histoire d’une quête pour poursuivre l’objectif du Maître qui est la construction du temple de Salomon.

Hiram n’existe qu’à travers sa mort et grâce à ces trois compagnons.

En tuant HIRAM, les compagnons ont tué les archaïsmes qu’ils ont en eux. Ils ont ainsi créé les conditions pour continuer et continuer encore  la construction du temple.

Que ferions-nous donc sans ces trois mauvais compagnons ? Sans ces 3 mauvais Compagnons, plus de miroir pendant la cérémonie d’initiation.

Sans ces trois mauvais compagnons, plus d’HIRAM en devenir pour que chacun de nous puisse apporter sa propre pierre à l’édifice. 

Si seule la mort initiatique complète permet la renaissance, alors oui, ces trois coups étaient bien indispensables, oui il fallait sacrifier Hiram, oui il fallait tuer le Père qu’il ait donné le secret ou non !

En tuant HIRAM, les trois mauvais compagnons ont créé les conditions de la continuité de son œuvre. 


Par ces motifs :

Qu’il plaise à vous tous mes TT∴ VV∴ FF∴ de considérer que la doctrine maçonnique en agrégeant l’adjectif qualificatif "mauvais" à la qualification de meurtre dans le cas d’espèce qui nous est proposé ne tire pas les conséquences de ses propres constatations.

Au bénéfice de ce qui précède :

1) Proposons que ces trois mauvais compagnons soient condamnés sur le chef d’homicide involontaire exercé à l’encontre de Maître HIRAM, condamnation assortie de circonstances atténuantes.

2) Renvoyons aux bons soins de  notre R∴ L∴ souveraine saisie en chambre du milieu de décider des éventuelles sanctions attachées au comportement critiquable de ces 3 mauvais compagnons.

3) Qu’il plaise à ma R∴ L∴ de verser  au tronc de la veuve les deniers éventuellement mis à la charge des contrevenants et cela sans bénéfice de discussion ni de division.

4) Qu’il plaise à tous mes TT∴ VV∴ FF∴ à continuer et cela sans faille et sans faiblir l’oeuvre entrepris par Maître HIRAM. 

5) Disons que les dépens d’instance éventuels seront laissés à la charge de la F∴ M∴ qui a laissé faire.

Et ce sera justice.

Très Vénérable Maître et vous tous mes Vénérables Frères,

J’ai dit. 


C∴ R∴

9 septembre 2020