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J.J. Le Rite Emulation

 

Tracing Boards from St. Andrews Lodge No. 1817


LE RITE EMULATION


Joël J.

Planche maçonnique parue dans L’Édifice


Cette communication devrait plutôt porter le titre « Emulation, Pourquoi ? Comment ? »... On peut, tout aussi bien entendre, « Emulation ? Qu'est-ce que j'y fais, moi qui viens du Rite Français ? » à cela je peux répondre facilement... j'y étudie la franc-maçonnerie et j'y prends un plaisir extrême. Mais, là n'est pas la question... ce soir, j'alternerai l'Histoire et le Rite sans, toutefois trop aborder les détails symboliques. Mais, comment faire en un temps aussi court ? Parler de l'Histoire de la franc-maçonnerie ici revient toujours, peu ou prou, à construire une paillote là où devrait se dresser un Temple.

Ainsi, nous allons essayer de faire le portrait robot du Rite et qui ne laisse pas de surprendre les visiteurs d'autres rites tant ses références « opératives » dominent et l'éloignent de l'alchimie ou de la théurgie présentes partout ailleurs sur le Continent (1).

«Emulation working», le «Style Emulation», le «Travail d'Emulation» peut aussi les surprendre par son orientation déiste, en effet ses références permanentes à l'ancien testament pourraient laisser accroire, à nos visiteurs et, peut-être, à certains d'entre nous, que le poids christique explicite de certaines pratiques continentales est plus sécurisant et porteur de libre pensée... on en oublierait que la laïcité du Grand Orient a été inventée par des Pasteurs Calvinistes... Pour faire un clin d'oeil, je dirais que nous sommes des hommes simples face à une œuvre complexe.

Avant d'aller plus loin, il est bon de préciser deux ou trois points. Tout d'abord, concernant le vocabulaire utilisé en Histoire de la franc-maçonnerie.

Le nom de Grande Loge Unie d'Angleterre désigne uniquement la fédération actuelle, constituée après l'Acte d'Union de 1813. La Grande Loge de 1717 porte le Nom de Grande Loge de Londres ou Grande Loge des «moderns» ( sans « e » ), le regroupement des Loges du rite «ancients » ( avec un « t » au final ) est qualifié de Grande Loge des «Ancients» à la place de son véritable nom qui était «Grand Comité de la plus Ancienne et Honorable Fraternité des Maçons libres et acceptés, selon les Anciennes Institutions».

Les membres des guildes de bâtisseurs et des anciennes Loges de constructeurs dont le métier est relatif à la maçonnerie sont appelés «opératifs» alors que les autres membres des mêmes Loges dont le métier n'est pas de construire ou d'être architectes sont nommés «maçons acceptés». Les maçons «spéculatifs» ou «francs-maçons spéculatifs» sont, quant à eux, des membres de Loges non constituées autour du métier et dont les membres ne sont pas des constructeurs.

Qui sont les « moderns » de la Grande Loge de Londres ?

Commencée sous le règne d'Henry VIII pour se développer sous Elisabeth Première, la grande révolution de la Renaissance Baroque eut pour conséquence l'émergence d'une forte pensée artistique et scientifique. Portée par les philosophes des Académies néoplatoniciennes de Florence tel Giordano Bruno, tout aussi bien par le développement de ce que l'on appellera la «philosophie occulte» de Raymond Lulle et Henri Corneille Agrippa, cette révolution aura pour conséquence le développement de l'enseignement universitaire et ses publications en langue véhiculaire et non plus en latin.

De cet illuminisme élisabéthain naquit le premier regroupement de scientifiques et de pasteurs calvinistes, sous protection de l'Angleterre depuis la révocation de l'édit de Nantes, et qui avaient gardé de nombreux contacts chez les Rose+Croix rhénans ou les «gymnasium» bâlois ; ce furent la «Royal Society», «The Invisible College», «les free-gardeners», «le Druid order» et la franc-maçonnerie de Londres regroupant en 1717 dans les milieux intellectuels fréquentant déjà des loges disparates depuis le XVIIème siècle.

Devenus très sûrs de leurs prérogatives, protégés par la royauté, les membres de la Grande Loge de Londres adaptèrent leurs rituels et leurs pratiques en vue de les rendre plus conformes à leurs savoirs spéculatifs et scientifiques.

Le «tout Londres» de cette époque, qui composera la Grande Loge «Andersonienne», étant assez peu différent des «noblesses de ville» d'aujourd'hui, il n'était pas question pour eux de se mélanger avec des gens de peu, mal instruits et, pour tout dire, «pas d'ici».

Afin de justifier de cette exclusion, les «moderns» modifièrent les pratiques et les signes, prétextant les rendre plus conformes à la pensée du temps.

La grande majorité des immigrants des colonies d'Amérique, d'Irlande et d'Ecosse, poussés vers Londres par les crises et les guerres, artisans, petits bourgeois terriens voyant leur pratique rejetée et méprisée les nommèrent «moderns», prétendant, à juste titre, que leur exclusion et l'«évolution» déplorable des secrets de l'Ordre avait eu pour conséquence d'éloigner Londres de la vraie en ancienne maçonnerie dont ils conservaient, eux, les anciens usages.

Un contexte politico-économique en mutation .

L'histoire de la franc-maçonnerie, on le voit, est assez embrouillée. Il est bon de procéder à un rapide aperçu politico-économique de l'Angleterre, ce point nous donnera quelques indications.

A toute forme d'économie correspond un régime, dit-on, et, dans le cas qui nous occupe, à toute forme de régime correspond un élan de société et les formes de sociabilité qui la composent en sont l'image. Les francs-maçons sont des hommes, bien souvent, des hommes engagés dans l'Histoire et conscient du rôle qu'ils peuvent jouer dans l'évolution de leurs institutions.

Ainsi, pour notre histoire, il est bon de garder à l'esprit les trois phénomènes les plus importants de la période 1688-1815 de l'Histoire de l'Angleterre, à savoir :

• la révolution agricole et industrielle qui, en ruinant les petits propriétaires et en massant dans les villes un prolétariat de plus en plus misérable, rend inévitable une révolution politique et une réorganisation des pouvoirs, à savoir, gouvernement familial ou tribal, dynasties féodales ou politiques de guildes ? L'économie agricole primitive suppose quelque sorte de féodalité parce que les agriculteurs épars ont besoin d'être défendus. Le temps des marchands est bien plus celui de la ploutocratie; et la révolution industrielle apporte la démocratie dans les bagages des objectifs de croissance aux ambitions plus grandes que le féodalisme finissant.

• le passage d'un gouvernement monarchique où le Parlement n'avait eu qu'un rôle législatif à un gouvernement oligarchique dans lequel le Parlement est aussi, contrairement à ce que croyait Montesquieu, la source du pouvoir exécutif. Ce passage se fait grâce à l'invention d'un cabinet responsable devant les Chambres, création né des nombreuses guerres intérieures et qui rend possible l'alternance pacifique des partis. Il est de moins en moins question d'omnipotence royale. On retrouve ici l'esprit des Constitutions maçonniques de 1723 à « regrouper ce qui est épars » ;

• la lutte avec la France qui a pour premier objectif d'empêcher la formation sur le continent d'une hégémonie redoutable pour l'Angleterre, que ce soit celle de Louis XIV ou celle de Napoléon et qui a pour objet d'assurer à l'Angleterre la maîtrise des mers et la formation d'un nouvel Empire. Cette compétition se traduira aussi, bien entendu, par une distance de plus en plus grande entretenue par les deux franc-maçonneries, jusqu'à la rupture.

Dans l'Angleterre du XVIIIème siècle, le Pouvoir appartenait à une classe mixte, formée d'une aristocratie nourrie de la «Magna Carta», issue de la féodalité défunte et d'une ploutocratie de propriétaires terriens toute neuve particulièrement tentée par l'anoblissement et ses privilèges... Cette seule Classe de «Squires», en se divisant, donnera naissance aux deux partis politiques qui sont encore présents dans le paysage britannique.

On sait que le régime britannique a été accepté sans soulèvements sociaux. Bien entendu, il fallait admettre l'existence d'un partenariat avec des guildes mixtes, opératives et acceptées, voire, comme cela s'est trouvé pour les maçons, d'en contrôler la direction au plus haut niveau. Ces groupes de privilégiés étaient ouverts au talent, ou au moins au succès parce qu'il valorisait le système et favorisait le libéralisme économique. C'est pourquoi, le dix-neuvième siècle parlementaire, à la fois impérial et démocratique, ne rencontra jamais dans la fine fleur de l'Angleterre de préjugé défavorable. Cette élite, qui assurait la mixité des guildes, avait pris l'habitude, depuis le siècle précédent, de considérer ce système comme sa maison.

C'est dans ce contexte général que naîtra la franc-maçonnerie Anglaise, à l'image d'un élitisme conservateur et mondain. C'est bien parce que la Grande Loge de 1717 véhiculait l'orgueil des Lumières, cette conscience générale de progrès et de libéralisme préférentiel qu'elle put s'adapter aux différents environnements, tout aussi bien au parlementarisme britannique qu'aux royautés continentales et évoluer de manière aussi dissemblable après y avoir été exportée. Néanmoins, ses modes de recrutement spécifiques et les désirs d'anoblissement de la bourgeoisie qui la composait conduisirent, au fur et à mesure, la structuration en loges de différents niveaux. Très loin du principe affirmant que «Tous les Maçons sont frères sur le même niveau», la Grande Loge des «moderns» a laissé germer la graine qui est devenue un arbre aux nombreuses branches...le développement de systèmes de hauts grades de plus en plus importants, reflets de hiérarchies sociales accrochées à leurs privilèges qui conduisit à des réticences de plus en plus marquées à accepter en ses rangs les ouvriers ou les maçons de métier.

Cela conduisit naturellement au rejet de certains visiteurs, petites gens issus des anciennes Loges de Provinces, d'Irlande et d'Ecosse ou anciens immigrants des Amériques.

C'est dans ce climat d'ostracisme que six loges indépendantes de Londres formèrent en 1751 ce qui devint la Grande Loge des «Anciens». La prétention de leur porte parole, Laurence Dermott, qui fut très vite leur fédérateur, à conserver des pratiques anciennes, quoique fort exagérée, n'était pas tout à fait sans fondement. Cela permit de réintégrer dans la maçonnerie un fonctionnement qui se voulait débarrassé des préoccupations de privilèges.

Cette nouvelle maçonnerie des «ancients» était l'image d'une certaine forme de lutte de classes qui s'étendit sur toute la seconde moitié du XVIIIème siècle et les premières années du XIXème.

Le conflit d'intérêt et de pouvoir dont il est question ici et qui ne concerne, à première vue, que l'Angleterre est, en fait, une image préfigurée des révolutions «politiques» de l'Europe des années 1830...

1813 – The Union Act

La «querelle des «ancients» (2) et des «moderns» se terminera en 1813, par l'Acte d'Union et le divorce définitif, comme une conséquence naturelle, des maçonneries Anglaises et Continentales. Ces dernières ayant évoluées vers un système arborescent trop anarchique et trop proche de la noblesse de privilèges pour réintégrer les anciens devoirs.

La marque la plus claire de cette séparation reste le ferme rejet de l'Ecossisme et des « Hauts grades », ainsi que le définit clairement l'«Acte d'Union» quant à la structure des pratiques.

«Il est déclaré et prononcé que la pure Ancienne Maçonnerie consiste en trois degrés et pas plus, c'est-à-dire: Apprenti entré, Compagnon, y compris la Marque, et Maître Maçon, y compris l'ordre suprême de la Sainte Arche Royale». Je noterais ici comme une parenthèse importante que la maçonnerie anglo-saxonne ne connaît pas le terme de «grade» qui apparaît souvent sur les traductions françaises à la place du mot «degree».

Pour les rites anciens, il n'y a ni grade, ni rang mais des degrés. «Tous les maçons sont frères sur le même niveau» et les dispositions hiérarchiques sont une hérésie maçonnique contraire aux «Landmark» qui précisent que « Tous les maçons sont égaux et ne peuvent se prévaloir d'aucun titre ni rang autre que les trois degrés. » L'égalité de tous maçons est un principe absolu et il n'est pas anodin que le terme de «degree» qui signifie «par étape», «barreau de l'échelle» ait été traduit, sur un continent prolifique en honneurs inégalitaires par «grade».

Ce dernier mot étant le même dans les deux langues, pourquoi l'avoir choisi alors qu'il n'était pas utilisé ?

L'apparition, d'«Emulation» se présente comme l'outil d'une unification rituelle qui instrumente l'arrêt des proliférations anarchiques de soi-disant rangs perçus essentiellement comme un retour aux privilèges du monde profane et le point final donné au premier grand conflit de l'Histoire maçonnique, ce que le Grand Orient de France avait essayé de faire dès 1773 avec le peu de succès que l'on connaît.

De l'Acte d'Union naîtra la Grande Loge Unie d'Angleterre.

Les rituels des «ancients» de cette époque étaient toutefois fort disparates. Pratiqués dans les Provinces du Royaume Uni on y retrouvait, le nom de la ville où se situe la Loge tel que le «Oxford Working» ou de la région comme le «Sussex Working» ou bien d'autres nom savoureux tels «Logic» ou «Stability», mais ils se rapportaient tous, peu ou prou à une pratique identique que les historiens de la maçonnerie anglaise s'accordent à relier au rite que l'on nomme généralement «ancienne pratique».

De fait, plutôt que de substituer une appellation à une autre, les membres de la «Special Lodge of Promulgation» n'ont pas donné de nom à leur rituel qu'ils appelaient «ancienne pratique régulière» et le terme qui sert aujourd'hui est l'abréviation de «Emulation Lodge of Improvement for Master Masons». Ce nom est en fait, celui de la Loge de référence, fondée en 1818 pour l'instruction des Maîtres Maçons et qui se réunit depuis cette date et sans interruption au «Freemason's Hall», Great Queen Street à Londres, tous les vendredis soir à dix-huit heures (3).

Mais, revenons à la part politique. Avant 1813, nous l'avons vu, il existait deux Grandes Loges. L'une d'elles, fondée en 1717, celle des «moderns», et l'autre, fondée en 1751, connue comme celle des «ancients». Ces deux entités vécurent des relations très conflictuelles durant plus de soixante ans. Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, la Grande Loge des «Moderns» de 1717 n'était pas reconnue par ses deux sœurs d'Écosse et d'Irlande qui lui reprochaient d'avoir modifié les «landmarks traditionnels» et d'avoir apporté des modifications importantes dans la pratique des rites, ce qu'elle reconnut le 12 avril 1809.

«This Grand Lodge do agree in opinion with the Committee of Charity that it is not necessary any longer to continue those Measures which were resorted to or about the year 1739 respecting Irregular Masons, and do therefore enjoin the several Lodges to revert to the Ancient Land Marks of the Society» (4)

Elle constitua six mois plus tard une nouvelle Loge, «The Special Lodge of Promulgation», dont la patente spécifiait le but : «en application de la résolution précédente, faire connaître et rendre exécutoires les anciens «landmarks» auxquels il convenait de revenir»

«For the purpose of Promulgating the Ancient Land Marks of the Society and instructing the Craft in all such matters and forms as may be necessary to be known by them in Consequence of and Obedience to the said Resolution [celle du 12 avril 1809, citée ci-dessus] and Ordre». (5)

En 1809 des commissaires furent nommés afin de négocier les modalités qui ont permis le 27 décembre 1813 de fusionner les deux loges en Grande unie de l'Angleterre par la signature de l'Union Act.

Cette unification fit l'objet de nombreuses tractations, entre les deux Grandes Loges à l'initiative des «Ancients», ainsi, le 11 avril 1810, la «Grande Loge des Moderns» décida d'accéder à la requête des «Anciens» et de préparer l'unification des deux Grandes Loges. Le moins que l'on puisse dire c'est que les «Moderns» se firent longuement prier, peut être, en partie pour dissimuler leurs propres faiblesses et feindre l'indifférence à l'union qui ne pouvait pourtant que renforcer le prestige de la franc-maçonnerie anglaise.

Dans un Royaume unifié et pacifié, les prises de positions politiques et les dispositions naturellement légitimistes de la maçonnerie anglaise n'étant plus, depuis le quinzième siècle, le fait du hasard, il devenait nécessaire de regrouper les maçons autour d'une même couronne.

La pratique régulière des «ancients»...

Conformément à la vieille tradition des maçons opératifs, le rituel standardisé qui résulta de l'union des «ancients» et des «moderns» ne fut pas consigné par écrit, bien au contraire ! Il fallut attendre jusqu'en 1850 pour qu'un premier rituel d'Union soit publié et seulement 1969 pour qu'une publication officielle de la GLUA voie le jour.

Les constituants de l'«Act of Union» de 1813 s'étaient donc heurtés à une difficulté : il y a toujours une commission, quelque part, prête à transformer, modifier, ajouter un «traditionnel», un «rétabli», par-ci ou un «véritable» par là, bref, à moderniser, la pratique des rituels. Comment concilier deux exigences, à savoir celle de l'oralité, en vigueur au moins théoriquement, et celle, plus directement politique, de préserver l'immuabilité du Rituel, de le mettre à l'abri des inévitables variantes locales et autres déformations ? C'était l'affichage officiel du conflit et il fallait éviter qu'il ne se reproduise. La Grande Loge deviendrait donc Première Grande Loge... Première par l'antiquité revendiquée, mais surtout Première hiérarchiquement afin de ramener les âmes égarées au sein de la régularité.

N'oublions pas qu'en maçonnerie, le dernier né est toujours le plus ancien et le plus grand !

Néanmoins, cet objectif fédérateur réalisé eut pour conséquence directe que les Frères du Rite «Emulation» puisse, sans réserve, aujourd'hui, affirmer que depuis son origine, il n'a subi aucune altération, ni dans son contenu ni dans ses pratiques, ni dans sa gestuelle. C'est là le grand principe fondateur de ce rite : son immuabilité.

La conservation de son message par le fait que l'on n'en modifie pas un «iota» (encore une référence biblique!). C'est ainsi que, si l'on n'y prend garde, l'apprentissage «par cœur» devient le principal objet du Rite alors que cet élément n'est, en fait, qu'un accessoire obligeant à l'étude.

Afin de conserver la pratique rituelle de la manière la plus efficace, les articles de l'Acte d'Union stipulaient qu'il devait y avoir une parfaite unité dans le travail.

Mais pourquoi vouloir faire une maçonnerie universelle à partir d'une simple réconciliation ?

Comme je l'ai déjà dit, à toute forme de société correspond une forme de sociabilité. L'Histoire de l'Angleterre de cette époque nous le montre bien, il s'agit de consolider ce qui deviendra l'Empire et de le protéger des atteintes... particulièrement des atteintes intérieures... L'Angleterre a connu de nombreuses guerres civiles, jamais de révolutions !

S'agissant d'une franc-maçonnerie spéculative parfaitement intégrée dans le paysage politique européen, il était impératif pour un anglais conservateur de faire barrage à la puissante maçonnerie napoléonienne dirigée par le duc de Cambacérès, Archichancelier de l'Empire, afin que ce Grand Orient, déjà trop présent, ne puisse devenir la référence.

Il fallait traduire cette perspective universaliste par l'unification de ce qui représentera le plus important regroupement fédérateur de noblesse et de bourgeoisie de l'Empire Britannique et qu'il puisse s'offrir en modèle de société aux rouages parfaitement équilibrés et adaptés au monde moderne. Les défaites de Napoléon marqueront les premiers signes de faiblesse de son pouvoir et les lambeaux de l'empire seront partagés entre la Prusse et Londres. On pensait alors qu'il serait de bon aloi de voir la bourgeoisie française se rallier et que la «freemasonry légitimiste» devienne leur point de regroupement. La nouvelle franc-maçonnerie rappelle d'où elle vient, se revendique issue des bâtisseurs de cathédrale et de la révolution industrielle. Elle est le rempart moral contre les velléités révolutionnaires de l'Europe continentale, l'équilibre des nations. On sait que ces prétentions à empêcher les révolutions échoueront dans la reconnaissance de légitimité accordée par les anglais à Louis-Philippe d'Orléans, échec qui forgera le socle des révolutions européennes de 1830.

Ces erreurs stratégique affaiblissant la crédibilité de l'Angleterre sur la scène européenne conduiront les britanniques à percevoir leur nouvelle souveraine, la jeune Victoria, épuisée par les grossesses successives et qui aura, néanmoins, le plus long règne de l'Histoire, de 1873 à 1901, comme une sorte de réincarnation d'Elizabeth Première dont ils attendront grandeur et renaissance.

De fait, après sa mort, à la veille du premier conflit mondial, toutes les familles régnantes d'Europe, touchées et à l'origine du conflit seront liées entre elles par la descendance de la Reine devenue une figure mythique de l'Empire et conductrice véritable des principes anglicans, c'est à dire du prestige moral de la Grande Bretagne, image de sa puissance.

Le soleil ne se couche jamais sur l'Empire et les maçons de Britania travaillent depuis le lever du jour...

Ce sentiment de continuité Impériale, ce rempart civilisateur, cette «dette de l'Angleterre civilisée vis à vis des peuples du monde» comme le dira James J. Frazer, l'ethnographe, impose à ceux qui la pratiquent, qu'il n'y ait qu'une seule forme de maçonnerie ; la maçonnerie anglaise. Elle ne doit pas être confondue avec la fille des lumières trop souvent associée à tort à la Révolution Française. Elle ne souhaite pas être mêlée à une révolution quelconque et proclamera avec force ses origines humbles et ouvrières ; celles de la maçonnerie de métier, des guildes interdites ; croyantes, vertueuses, travailleuses et surtout, au service du Pouvoir. C'est donc à la famille royale qu'il reviendra de la diriger. Son rituel doit être anglican, reposer sur la Bible du Roi Jacques Premier, successeur d'Elizabeth.

Cette maçonnerie unie donnera le ton sur la planète entière et, pour ce faire, développera dans le paysage spéculatif les termes de «régularités» et de «Landmarks». Cette position dominante aura d'ailleurs été un objectif fondamental, y compris de la Grande Loge de Londres, exposé par le Grand Secrétaire des «Moderns» James Heseltine (6), à savoir, parlant de la franc-maçonnerie française, que «ces gens-là ne sont pas reconnus comme maçons ... » mais aussi que «...La différence fondamentale et essentielle entre la franc-maçonnerie anglaise et les franc-maçonneries continentales c'est que ces dernières ignorent ce qu'est un franc-maçon».

Afin d'organiser et de déterminer de l'unité rituelle qui mettra un terme à toutes les querelles et surtout à tout le foisonnement qui se répandait depuis 1730, la création d'une Loge de Réconciliation, composée à part égale de Maîtres Maçons experts issus des deux Grandes Loges, fut donc inscrite dans la Constitution de la Nouvelle Grande Loge.

L'article V prévoyait, à ce sujet, que les Frères participant aux travaux de la Loge de Réconciliation avaient pour mission de constituer le Rituel qui devrait être observé en parfaite unité (perfect unity) et en permanence par la nouvelle Grande Loge.

Les Maîtres de la Loge de Réconciliation n'ont pas été avares de leurs efforts à faire aboutir une forme rituelle à la fois débarrassée de l'alchimie et du Rosicrucianisme mais contenant toujours les arcanes de la «philosophie occulte» des lumières élisabéthaines du XVIème siècle, donc, acceptable à l'unanimité par tous. Ces efforts de syncrétisme sont attestés par le fait que rien ne fut réellement terminé avant la préparation, le 20 mai 1816, de la tenue de Grande Loge présidée par le Très Vénérable Grand Maître, Son Altesse Royale le Duc de Sussex.

A l'issue de cette tenue de Grande Loge et lors de sa réunion suivante du 5 juin 1816, le rituel fut confirmé et approuvé.

C'est ainsi qu'en 1816 naquit une forme de rituélie particulière d'ouverture et de fermeture de la Loge aux trois degrés ainsi que les réceptions, passages et élévations qui fut approuvée et admise au nom de SAR le Duc de Sussex, de la Grande Loge Unie et en celui de l'ensemble de la fraternité d'Angleterre.

«Emulation», bien que pratiqué par les éléments des forces britanniques stationnées sur le continent durant la première guerre mondiale, ne fut introduit en France qu'en 1925 par les frères Drabble et traduit en français à cette occasion. A cette époque, le Grand Orient de France, né en 1773 dans l'objectif de fédérer les rites, disposait déjà de patentes du rite des «Ancients», introduit en France au retour de La Fayette, après la guerre d'indépendance de 1774 et du rite d'York, amené par les immigrés Américains après la Guerre de Sécession, c'est à dire entre 1861 et 1875.

En 1925, «Emulation» fut adopté par une partie des loges de la Grande Loge Nationale Française créée depuis 1913, notamment, «Persévérance 27», «Espérance 35», «Confiance 25», etc... Donc, bien après la création de l'Obédience construite sur le Rite Ecossais Rectifié.

Porteur de la notion d'une initiation «orale» et «complète» à chaque degré du rite, «Emulation», dans sa pratique assidue, est ce que l'on pourrait appeler un rite «explicatif» très progressiste et très égalitaire. Sur ce point particulier, il apparaît fort dommage que sa pratique «proclamée» en France le fut par la Grande Loge Nationale avant tout dans un souci d'allégeance à l'Angleterre plus que par choix philosophique. Tous les éléments de la «philosophie occulte» du XVIème siècle, des «mystères» des bâtisseurs (pas uniquement des tailleurs de pierres) et des secrets de l'Ancien Testament sont contenus dans ses cérémonies. Ils sont transmis à chaque étape du Rituel et à chaque grade pour ce qui le concerne, sans rien n'omettre. Cela permet, à qui le pratique et l'étudie d'accéder à la connaissance des symboles et signes et de répondre à la question fondamentale de leur utilité.

Pour «Emulation», le thème de ce que l'on nomme Maçonnerie Bleue, c'est à dire celle regroupant les trois premiers degrés d'Apprenti, Compagnon et Maître, est la construction symbolique d'un Temple. L'Apprenti y est admis parmi ceux occupés à cette tâche de construction afin d'en partager les travaux et d'apprendre les techniques.

Ce ne sera que comme Compagnon qu'on lui fournira le reste des outils lui permettant de préparer une pierre taillée, et de progresser jusqu'à la production d'un chef-d'œuvre.

Il sera alors capable de travailler comme maçon expérimenté et on l'encouragera à découvrir les mystères cachés de la nature et de la science. Il connaîtra le sens moral de l'équerre, du niveau et de la perpendiculaire et il apprendra même où et dans quel esprit les compagnons reçoivent leur salaire.

Le degré de Maître Maçon de Marque où le Compagnon apprendra comment percevoir son salaire, bien que suivant la maîtrise, assure le lien entre le Compagnon de métier et le Maître. Il aidera à achever le Temple par l'achèvement des alliances ...

«Emulation» présente une grande simplicité structurelle, comparativement aux maçonneries Ecossaises et Egyptiennes, mais aussi une remarquable complémentarité dans les différentes étapes de la progression.

Là où l'on doit rechercher la pierre cachée, «Emulation» substitue la pierre d'angle et la pierre de faîte. C'est la manipulation de ces pierres qui constituent la structure physique du Temple, le constat de sa stabilité, de son harmonie et, par extension, de l'application de ces qualités à l'Homme, qui donne tout son sens à la progression maçonnique d'«Emulation».

Lorsqu'on le pratique, ce qui saute aux yeux, immédiatement, est la grande logique de progression qui préside aux travaux, à tel point que l'horizon de l'Apprenti Entré est déjà orienté vers ce que sera le Maître de l'Arche.

Chaque franc-maçon passe d'un grade à l'autre et d'un poste à l'autre au terme d'un cycle annuel. Rien dans cette logique clairement soulignée par son insistance particulière quant à l'éphémère et sa volonté fédératrice n'est incompatible avec les principes fondamentaux de tolérance, de progrès, de philosophie rappelés dans l'article premier des constitutions du Grand Orient de France comme rien dans ces mêmes constitutions n'empêchent la pratique d'un rite plutôt qu'un autre sinon le fait de disposer des patentes des degrés...

Pour Emulation, la pratique assidue offre la compréhension et les «Loges d'Instructions» sont construites sur l'étude afin de permettre aux francs-maçons de progresser et de s'«améliorer» (traduction de Improvement), de générer une dynamique (Emulation), sur la voie maçonnique ; car, pour «Emulation», «les épreuves», «le challenge», sont dans les éléments symboliques du rituel.

Pour le franc-maçon, la pratique rigoureuse de son rite, quel qu'il soit, est une garantie de sérieux, sinon, autant faire du théâtre ou des danses folkloriques. Alors, pratiquons du mieux que nous pouvons car le but de la franc-maçonnerie et de ses rituels n'est-il pas, à toute fin l'initiation et le progrès de l'Homme ?

«Emulation ? Qu'est-ce que j'y fais, moi qui viens du Rite Français ?» à cela je peux répondre facilement... j'y étudie la franc-maçonnerie et j'y prends un plaisir extrême. Et je remercie tous ceux qui me permettent de le me le faire partager comme un cadeau.

Présenté par Joël J.


Notes :

1. Sur le continent, on étudie la Franc-Maçonnerie essentiellement sur sa part ésotérique alors que le chercheur Anglais est essentiellement historien.

2. "Le Grand Comité de la plus Ancienne et Honorable Fraternité des Maçons libres et acceptés, selon les Anciennes Institutions" Elle fut également connue sous le nom de Grande Loge ATHOLL, du nom du Duc d'Atholl qui en fut le Grand Maître pendant de nombreuses années. Elle fut constituée en 1751 jusqu'à sa fusion avec les Moderns en 1813 qui donnera la Grande Loge Unie d'Angleterre, toujours existante.

3. Les théoriciens anglais d'Emulation, tel Herbert Inman ne tiennent, bien entendu, pas compte des pratiques continentales, telles que le Rite Français, le Rite Ecossais Ancien et Accepté ou le Rite Ecossais Rectifié, mais le même questionnement peut aussi se poser pour les néophytes confrontés à ces différentes pratiques. Durant la période qui suivit l'Acte d'Union entre les «ancients» et les «moderns», c'est à dire après la création de la «Lodge of Reconciliation» en 1813, la principale activité fut de regrouper les pratiques et de les fondre dans ce qui deviendrait, en 1816, le Rite Emulation. Après la mort de ses promoteurs, Gilkes et Clarets, en 1850, la veuve de ce dernier continua de publier la forme écrite du rituel jusqu'en 1870. D'autres éditions virent alors le jour dont un ouvrage, publié en 1871, « The Perfects Ceremonies » dont le contenu se voulait être un manuel d'enseignement à «Emulation». On ne peut être que surpris par le fait que, s'agissant d'un événement aussi important que l'unification, il n'y eut pas plus d'ouvrages traitant du sujet de l'enseignement rituel. En effet, il fallut attendre 1902 pour que la Loge «Stability» publie son rituel et la «Lodge of Improvement» ne publia le siens qu'en 1969. C'est très probablement ce manque de zèle qui permit, entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle, la profusion de nouveaux rituels. On en compte aujourd'hui plus de 40 publiés et une centaine d'autres pratiqués ça et là, bien souvent d'ailleurs par une seule et unique Loge. Certains parmi ces rituels sont pratiqués dans les Provinces et portent le nom de la ville où se situe la Loge tel que le «Oxford Working» ou de la région comme le «Sussex Working». Ces pratiques anecdotiques ne sortent généralement pas de leur zone géographique. Bien évidemment, «Emulation» reste la pratique la plus courante de la Grande Loge Unie d'Angleterre. – Cf. à ce sujet, l'article publié par le «Masonic Quarterly Magazine» du 10 juillet 2004, «Masonic ritual: Spoilt for choice» (Rituels maçonniques, l'embarras du choix).

4. Gould History II: 498. Hextall, AQC 23 (1910): 37. Knoop, AQC 56 (1945): 30. Clarke, Grand Lodge (1967): 124 etc.

5. AQC 23 (1910): 37-38.

6. James Heseltine (1745-1804), Grand Secrétaire des « Modernes » nommé à vingt-quatre ans le 5 mai 1769, propos retranscrits dans Acta Macionica – Revue de liaison de la Loge Ars Macionica de la Grande Loge Régulière de Belgique.