WILLERMOZ Lettre à Charles de Hesse-Cassel (1781)


Charles de Hesse-Cassel


LETTRES À CHARLES DE HESSE-CASSEL

Jean-Baptiste Willermoz


Première lettre


Lyon, ce 8 juillet 1781


Pour pouvoir faire mieux connaître à V.A.S. sur quoi je fonde moi-même ma propre opinion, je devrai remonter à des définitions générales, telles que je les connais dans cette matière.

Je dirai donc d’abord qu’il me paraît essentiel de ne pas confondre la vraie Maçonnerie avec la Maçonnerie symbolique. L’une renferme en elle une science très vaste dont elle est le moyen, l’autre est sous une dénomination conventionnelle l’école dans laquelle on étudie d’une manière préparatoire cette science voilée sous des figures. L’une doit être, sous différents noms, aussi ancienne que l’existence même de l’homme dégradé ; l’autre est beaucoup plus moderne, quoique déjà fort ancienne, et sa dénomination actuelle paraît devoir être nécessairement postérieure à la dernière révolution qu’à subi le temple de Jérusalem, qui est devenu son type fondamental. Cette école étant née dans le silence du mystère et du secret, l’époque de sa naissance reste perdue dans l’obscurité des siècles qui se sont écoulés depuis le dernier saccagement du Temple. Je ne pense pas que l’on puisse jamais parvenir à lui assigner incontestablement une époque fixe. Je ne pense pas non plus à persuader que les Chevaliers Templiers soient les instituteurs de la vraie maçonnerie ni même de la symbolique, soit à l’époque de la fondation, soit à celle de la destruction de leur ordre, cette assertion sans preuve étant démontrée par les Annales maçonniques anglaises, lesquelles quoique contestées, aussi sans preuves, seront toujours d’un grand poids contre elle. Mais je ne répugne point de croire, sans cependant en être persuadé, que cette institution secrète, déjà existante avant eux, ait été la source d’eux ; qu’elle ait même servi, si l’on veut, de base à leur institution particulière ; qu’ils aient cultivé et propagé par elle pendant leur règne la science dont elle était le voile et qu’ils se soient ensuite couverts de ce voile même pour perpétuer parmi eux et leurs descendants la mémoire de leurs malheurs et essayé par ce moyen de les réparer. Tout cela, quoique dénué de preuves suffisantes, ne répugne pas néanmoins à la raison, et pourrait être admis au besoin comme plus ou moins vraisemblable. Les annales anglaises déjà citées font mention d’une grande loge nationale tenue à York l’an 926, c’est-à-dire environ deux siècles avant la fondation de l’Ordre des prétendus instituteurs de la Maçonnerie ; Elles avouent aussi qu’il existait des maçons avant cette époque en France, en Italie et ailleurs, et certainement l’amour-propre national anglais aurait supprimé cette anecdote si elle n’avait pas quelque fondement réel. Il est donc vraisemblable que l’ordre du Temple institué au commencement du XIIème siècle et dans le pays même qui est réputé avoir été le berceau des principales connaissances humaines, ait pu participer à la science maçonnique, la conserver et la transmettre indépendamment des autres classes d’hommes qui ont pu en faire autant. En un mot, si le prochain congrès général est d’avis de conserver des rapports maçonniques avec l’ancien Ordre du Temple, je ne vois nul inconvénient à présenter cet Ordre comme ayant été dépositaire des connaissances maçonniques et conservateur spécial des formes symboliques ; mais j’en verrai beaucoup à le présenter comme instituteur, parce que l’on pourrait trouver toujours et partout des contradicteurs très incommodes.

Je reviens donc au fond de la question. Je pense qu’il existe pour l’homme actuel une science universelle par laquelle il peut parvenir à connaître tout ce qui se rapporte à son composé ternaire d’esprit, d’âme et de corps dans les trois mondes créés, c’est-à-dire dans la nature spirituelle, dans celle animale  temporelle et dans celle élémentaire corporelle. Je ne fais point ici mention du quatrième monde, le divin, parce qu’il n’est plus donné à l’homme dans son état actuel d’y lire immédiatement, et si parfois il y lit encore, ce n’est plus que subsidiairement. Par cette science il peut espérer de s’approprier les vertus des trois mondes et de s’en procurer les fruits. La science universelle, embrassant les trois natures, se subdivise aussi en trois classes ou genre de connaissances naturelles et relatives ; et chacune de ces classes est encore susceptible de subdivisions particulière, ce qui multiplie beaucoup les branches des connaissances humaines. Mais comme les deux natures inférieures  sont pour ainsi dire confondues en une seule qui est dénommées nature sensible, il en résulte que toutes les connaissances qui s’y rapportent sont aussi confondues en un seul et même genre qui embrasse plusieurs espèces, d’où il résulte que ceux qui en suivent spécialement une espèce ne s’entendent pas toujours avec ceux qui en suivent une autre, quoique du même genre.

Je diviserai donc la masse entière des connaissances en deux genres seulement, et pour les distinguer je nommerai l’un supérieur et l’autre inférieur, mais, comme l’un et l’autre sont exclusivement du domaine de l’être intellectuel ou actif de l’homme, et nullement du ressort de sa nature inférieure passive, le premier peut augmenter son bien-être temporel par le secours des deux genres et multiplier par eux les jouissances propres à sa nature et à son état actuel mixte.

Cependant la première espèce sera toujours supérieure relativement à son but qui est tout spirituel. Par elle l’intelligence, se dégageant en quelque sorte du sensible auquel elle est liée, s’élève à sa plus haute sphère, et je suis fondé à croire que dans celle-là se trouve la connaissance du vrai culte et du vrai ministère sacerdotal, par lequel le ministre offre son culte à l’Eternel par la médiation de notre divin seigneur et maître J.-C. pour la famille ou la nation qu’il représente. C’est aussi dans celle-là seulement  que j’ai reçu des lumières et des instructions et dans laquelle j’ai eu le bonheur d’acquérir quelques preuves qui feront toujours la consolation de ma vie. Peut-être aussi ai-je trop négligé les occasions de m’instruire de ce qui concerne la classe que je nomme inférieure ; du moins je me le suis reproché depuis que j’ai eu lieu de me persuader que les connaissances de celle-ci peuvent servir d’échelons pour arriver à la première et peut-être aussi de moyens pour y opérer plus virtuellement, mais j’ai été longtemps combattu par la crainte d’être trop attiré par l’appât des succès dans la sensible et d’être par là excité à m’arrêter au milieu de ma route comme cela est arrivé à plusieurs autres ; de sorte que m’étant toujours efforcé de planer au-dessus du sensible et ayant été toujours soutenu dans mes efforts par quelques succès rares à la vérité, mais certains, je n’ai vu que les superficies des connaissances qui s’y rapportent et je n’en ai point sondé la profondeur, ce qui fait que je suis peu en état de les bien dessiner et de bien déterminer ni leur espèce ni leur étendue, et par cette raison je me suis déterminer à chercher de nouveau et à saisir les occasions que j’ai négligées ci-devant de m’instruire dans les connaissances de celle-ci. Si j’y parviens, ce sera alors seulement que je pourrai juger plus sainement l’ensemble du tout et apprécier chaque partie ; peut-être aussi devenir plus utile à d’autres que je ne puis l’être à présent.

Je ne doute donc pas que la 2è classe ne renferme des connaissances très précieuses pour l’homme et si je la nomme inférieure, c’est seulement par comparaison à l’objet à l’objet unique de la première car dans la nature tout est grand, utile, majestueux et sublime pour celui qui y cherche avec une intention pure. Mais aussi on y voit plusieurs systèmes très différents qui ont néanmoins beaucoup d’analogie entre eux dans leurs buts ou dans leurs moyens. Je n’entends parler ici que de ceux qui peuvent conduire à quelques connaissances des sciences naturelles, et nullement de ceux qui n’ont aucun rapport direct avec celles-là. Je ne veux même pas faire mention de la science de l’évocation des esprits que quelques-uns, surtout en Allemagne, ont appliquée à la maçonnerie, parce que ce qu’il y a de bon dans cette science appartient à une classe plus élevée et ce qui s’y trouve de mauvais devrait être toujours ignoré ; je ne citerai même que les principaux de ceux qui en ce genre sont venus à ma connaissance.

L’un prétend que la maçonnerie enseigne l’alchimie ou l’art mercuriel de faire la pierre philosophale et voudrait voir les Loges meublées de fourneaux et d’alambics.

L’autre, dédaignant l’art mécanique des souffleurs et même l’or qu’ils cherchent avec tant d’ardeur, donnent un sens plus relevé à la science hermétique et paraît employer pour son œuvre d’autres moyens. Il fait espérer qu’en retrouvant la parole perdue que cherchent les maçons, on obtiendra une panacée universelle par laquelle on guérira toutes les maladies humaines et on prolongera la durée ordinaire de la vie.

Un autre enfin, prenant un vol encore plus élevé prétend qu’on enseigne aux vrais maçons l’art unique ou la science du grand œuvre par excellence par laquelle selon lui l’homme acquiert la sagesse, opère en lui-même le vrai Christianisme pratiqué dans les premiers siècles de l’ère chrétienne et se régénère corporellement en renaissant par l’eau et par l’esprit selon le conseil qui fut donné à nicodème qui s’en effraya. Celui-ci assurant qu’il connaît la vraie matière de l’œuvre ainsi que les vrais vases, fourneaux et feu de la nature par lesquels il l’opère, assure aussi que par la conjonction du soleil et de la lune et en pratiquant exactement ce qui est indiqué emblématiquement par les trois premiers grades symboliques, il sera produit un enfant philosophique, par les vertus duquel le possesseur prolongera aussi ses jours, guérira les malades et spiritualisera pour ainsi dire son corps, s’il a eu assez de courage et assez de confiance pour aller chercher la vie jusque dans les bras de la mort. Je m’arrêterai là, ces systèmes et surtout les deux derniers embrassent généralement ce que tous les autres n’indiquent que partiellement.

Je ne puis savoir encore auxquels de ces systèmes celui du Cher Frère baron Haugwitz  se rapporte le plus. L’explication qu’il donne des mots Jakin et Boaz, et ce qu’il indique relativement aux propriétés du 3è grade paraît assez ce rapporter à ce que je connais des deux derniers que j’ai cités. De plus, il m’est parvenu par diverses voies que sa Loge à Goerlitz en Silésie a pour but spécial la science hermétique, mais je crois devoir suspendre en tout mon jugement jusqu’à ce que j’ai reçu la traduction dont V.A.S. m’annonce qu’il veut bien s’occuper pour moi.

Quoi que je n’aie aucune notion fixe sur les voies par lesquelles ces connaissances aussi anciennes que le monde se trouvent unies au christianisme et ont même été perfectionnées par lui, je ne répugne point d’admettre la possibilité que Saint Jean l’Evangéliste, qui a traité avec tant d’énergie et de sublimité de l’essence du sacré Verbe divin, ait réuni les anciens professeurs des sciences naturelles et ait perfectionné leurs connaissances par la lumière de l’Evangile, lesquelles sont ainsi parvenues jusqu’à nous ; mais une telle filiation qui ne serait démontrée que par une simple vraisemblance sera-t-elle de grand poids pour ceux qui cherchent la vérité, surtout si on y fait intervenir sans titre réel l’Ordre des Templiers ? Je crois cependant que tout cela pourrait s’arranger assez convenablement si on ne donne que pour vraisemblable ce qui ne pourrait être prouvé, et non comme certain. Tout dépendra donc du genre de preuves ou de probabilité que le cher Frère baron d’Haugwitz serait en état de produire.

Mais je pense que le point le plus essentiel dans la conjoncture présente, si on veut établir une fois pour toutes dans le régime une base fixe et invariable, est de ne présenter, en ce moment, de réforme aux maçons qu’un but réel et possible dans son espèce et dont l’effet puisse devenir certain pour ceux qui, ayant été suffisamment préparés et éprouvés, suivront fidèlement les moyens qui seraient indiqués par le système même. Si on ne les nourrissait à l’avenir comme par le passé que de principes vagues de théorie, sans leur garantir la certitude du succès de manière de manière à ce qu’ils puissent s’attendre à recevoir indubitablement par la pratique même les effets qui leur seraient promis, il est à craindre que, lassés déjà par bien des promesses illusoire que leur fait en général la Maçonnerie, ils ne s’en lassent tout à fait.

Le système de l’Ordre des Grands Profès diffère essentiellement des précédents en ce que, ne promettant aucun résultat physique et n’annonçant qu’un but spirituel moral à la portée de tous ceux qui y sont admis, il remplit parfaitement le but. Mais si à ce premier on en joint un autre, ainsi qu’il me paraît possible, qui promette quelques succès physiques dans la science naturelle, avant de l’annoncer on doit, ce me semble, s’être assuré de pouvoir donner au Elus des moyens certains de se procurer la preuve de la vérité.


Willermoz



Seconde lettre


Lyon, ce 12 octobre 1781

"Pour répondre sommairement aux questions que me propose Votre Altesse Sérénissime, je lui confesse que je suis le seul auteur et le principal rédacteur des deux instructions secrètes de Profès et de Grand Profès qui lui ont été communiquées ainsi que des Statuts, formules et prières qui y sont jointes, et aussi d'une autre instruction qui précède ces deux-là, laquelle est communiquée sans mystère et sans engagement particulier à presque tous les chevaliers le jour même de leur vestition ou seulement quelques jours après ad libitum ; celle-ci qui contient des anecdotes fort connues et aussi une délibération du convent national de Lyon, fait le complément de la réception et prépare de loin aux deux autres qui restent secrètes et dont le susdit convent national n'eut aucune connaissance...

"Au commencement de l'année 1767 j'eus le bonheur d'acquérir mes premières connaissances dans l'Ordre dont j'ai fait mention à V. A. S. ; celui qui me les donna étant favorablement prévenu pour moi par ses informations et examen, m'avança rapidement, et j'obtins les 6 premiers degrés. Un an après, j'entrepris un autre voyage dans cette intention et j'obtins le septième et dernier qui donne le titre et le caractère de chef dans cet Ordre ; celui de qui je les reçus (en fait il est reçu par Bacon de la Chevalerie) se disait être l'un des sept chefs souverains universels de l'Ordre et a prouvé souvent son savoir par des faits : en suivant ce dernier je reçus en même temps le pouvoir de conférer les degrés inférieurs en me conformant pour cela à ce qui me fut prescrit. Cependant je n'en fis nul usage pendant quelques années que j'employai à m'instruire et à me fortifier, autant que mes occupations civiles purent me le permettre ; ce fut seulement en 1772 que je commençai à recevoir mon frère médecin, et peu après les frères Paganucci et Périsse du Luc que V. A. S. aura vus sur le tableau des Gr. Prof. et ces trois sont devenus depuis lors mes confidents pour les choses relatives que j'ai eu la liberté de confier à d'autres.

"Il est essentiel que je prévienne ici V.A.S. que les degrés, du dit Ordre renferment trois parties. Les trois premiers degrés instruisent sur la nature divine, spirituelle, humaine et corporelle ; et c'est spécialement cette instruction qui fait la base de celles des Gr. Profès que V.A.S. pourra le reconnaître par leur lecture ; les degrés suivants enseignent la théorie cérémonielle préparatoire à la pratique qui est exclusivement réservée au 7e et dernier. Ceux qui sont parvenus à ce degré, dont le nombre est très petit sont assujettis à des travaux ou opérations particulières qui se font essentiellement en mars et septembre. Je les ai pratiqués constamment et je m'en suis très bien trouvé... Quoique les premiers des dits grade; soient enveloppés de quelques formes maçonniques qui sont abandonnées dans les grades plus élevés, je reconnus bientôt que cet Ordre avait un but plus élevé que celui que l'on attribuait à la maçonnerie...

"Au commencement de 1778, il s'éleva de grands troubles dans les provinces d'Occitanie et d'Auvergne ; la 1ère n'y voulut prendre aucune part ; la seconde offrit sa médiation : les troubles furent un peu apaisés, mais pour en détruire le germe, la province de Bourgogne désira un congrès national qui peut établir une reforme dans l'administration reconnue défectueuse. Son chancelier le R.f. a Flumine s'adressa à moi pour en faire goûter le projet à celle d'Auvergne ; je crus trouver là l'occasion que je cherchais depuis longtemps : je la saisis , mais ne voulant. pas absolument être reconnu pour l'auteur des instructions secrètes qui paraîtraient, il me fallait des coopérateurs discrets pour m'aider à les produire. Je communiquai donc mon projet à unes confidents susmentionnés et aussi au digne frère Salzmann qui se trouvait à Lyon depuis longtemps et que je venais de recevoir dans les premiers degrés de l'Ordre. Ils l'approuvèrent tous et m'encouragèrent à l'exécuter sans délai. Ils furent aussi d'avis que pour faciliter l'exécution il était indispensable de mettre aussi dans la confidence le Fr. a Flumine de Strasbourg dont on m'assura la discrétion. Je me conformai à cet avis et je mandais au dit fr. a Flumine que toute réforme maçonnique qui serait destituée de bases fixes et lumineuses ne produirait jamais que des effets éphémères, que j'étais dépositaire de quelques connaissances qui pouvaient s'adapter à la maçonnerie, au cas qu'elles ne lui eussent, appartenu primitivement ; que j'étais prêt à favoriser de tout mon pouvoir son projet de reforme d'administration et des rituels de l'Ordre intérieur, si de son côté il voulait s'engager à favoriser le mien pour la partie scientifique sur ce point, m'assurer de sa discrétion pour toujours sur ce point et soutenir le voile qui cacherait l'auteur de ses instructions ; que sans cela je ne pouvais pas me résoudre à prendre part à rien me trouvant excessivement lassé d'occupations si considérables et si infructueuses. Il accepta ma proposition, nous convînmes des 3 classes de l'Ordre : le symbolique, intérieur et prof. Il se chargea de préparer tout le travail de l'Ordre intérieur je me chargeai de la révision des grades symboliques et de tout ce qui concernerait la nouvelle classe secrète des Grands Profès. Je fus aidé dans la réforme de la symbolique par le fr. Saltzmann et par mes autres confidents. Je penchais beaucoup à supprimer des dits grades, tout ce qui se rapportait essentiellement aux évènements particuliers de l'Ordre des Templiers et gênait d'autour en liaison des choses plus essentielles, mais on objecta que par cette suppression on rompait toute liaison de la symbolique avec l'Ordre intérieur et tout rapport entre les loges françaises et les loges allemandes. On jugea aussi qu'il conviendrait de conserver dans le 4e grade les principaux traits caractéristiques des divers écossismes de la maçonnerie française pour servir un jour de point de rapprochement avec elle, ces différentes combinaisons reconnues nécessaires alors ; gênèrent excessivement les unes que je me proposais qui se rapportaient toutes à un seul objet; mais on crut devoir attendre qu'un convent général de l'Ordre entier eut prononcé sur la continuation ou la suppression des rapports maçonniques avec l'Ordre des Templiers pour pouvoir prendre à cet égard un essor plus libre.

"Quant aux instructions secrètes mon but en les rédigeant fut de réveiller les maçons de notre régime de leur fatal assoupissement ; de leur faire sentir que ce n'est pas en vain qu'on les a toujours excités à l'étude des symboles, dont par leur travail et un plus de secours ils peuvent espérer- de percer le voile. De les ramener à l'étude de leurs propres natures ; de leur faire entrevoir leur tâche et leur destination. Enfin de les préparer à vouloir devenir hommes. Lié d'une part par mes propres engagements, et retenu de l'autre par la crainte de fournir des aliments à une frivole curiosité ou de trop exalter certaines imaginations si on leur présentait des plans de théorie qui annonceraient une Pratique, je me vis obligé à n'en faire aucune mention et même à ne présenter qu'un tableau très raccourci de la nature des êtres, de leurs rapports respectifs ainsi que des divisions universelles.

"Tout ce que j'y ai inséré concernant la partie scientifique n'est du tout point de mon invention ; je l'ai puisé dans les connaissances que j'ai acquises dans l'Ordre que j'ai cité déjà plusieurs fois à V.A.S. ainsi que les rapports généraux du Temple de Jérusalem avec l'Homme général lesquels je suis autorisé à croire fondés sur la vérité et sont essentiellement du ressort de l'ancienne maçonnerie dont ce temple est la base fondamentale. L'histoire du feu sacré sous Néhémie se trouvant consignée dans des anciens grades maçonniques estimés bons, on se détermina par cette raison à la conserver dans les nouveaux ; mais comme je n'en puis garantir l'authenticité je ne m'opposerais pas à sa suppression si elle répugne ailleurs.

"Quant à la partie historique de la maçonnerie, elle est fondée sur les notions que j'ai pu acquérir par les recherches les plus exactes en ce genre, j'y ai donc inséré celles qui m'ont paru être les plus justes et les plus probables, dont quelques-unes sont rectifiées par mes propres connaissances dont j'ai cité la source, mais je ne pourrais point offrir de garants authentiques des autres.

"Pendant que je m'occupais de cet ouvrage, le frère Turckheim dont le génie est très actif et qui était plus maître que moi de son temps, avait mis le sien en état d'être délibéré. Aussitôt il pressa extrêmement le terme du congrès national projeté. Il fallut le convoquer et me dépêcher de finir mon travail qui se ressentit malgré moi de la précipitation avec laquelle il fallut le terminer. Je me flattai de pouvoir le réviser ensuite pour en faire usage dans quelques occasions privées et, même d'y joindre l'explication des nombres dont j'ai parlé ci-devant. Mais le loisir nécessaire pour un ouvrage si abstrait et qui exige une liberté d'esprit entière m'a toujours manqué, depuis vraisemblablement me manquera encore longtemps.

"Le congrès étant assemblé et ma rédaction étant à peu prés finie, dans laquelle je fus aidé pour les choses de style et d'arrangement par un de mes confidents très versé en ce genre (le frère Périsse du Luc) et aussi l'un des plus avancés dans les connaissances fondamentales ; mes dits confidents qui se trouvèrent en même temps chargés de députations au congrès, y proposèrent qu'il fut formé une commission spéciale qui serait chargée de requérir et de revoir les divers renseignements qu'il serait possible de se procurer sur la partie scientifique relative à la maçonnerie primitive.

"Les chanceliers d'Auvergne et de Bourgogne furent chargés de ce soin et autorisés par le congrès de former un comité de conférences avec tous ceux qui fourniraient quelques éclaircissements sur ces matières ; il s'engagea pour laisser une plus grande liberté aux coopérateurs de ne point exiger la communication des papiers originaux qui pourraient être produits dans ce comité, ni de connaître quels seraient les frères qui les produiraient s'ils ne voulaient pas être connus ; on annonça même que l'on avait déjà reçu préliminairement de la part de quelques frères étrangers qui ne voulaient pas être nommés des papiers très importants sur cet objet, à la traduction desquels on allait travailler de suite : c'est ce qui est cause que presque tous les Grands Profès de Lyon et des autres collèges établis depuis lors ailleurs, sont persuadés qu'ils possèdent sont venues originairement d'Allemagne ou d'Italie et le vrai auteur n'est point connu. Le congrès se réserva seulement d'avoir connaissance, du résultat des conférences du comité, ce qui donna lieu à l'instruction préliminaire ostensible dont j'ai parlé plus haut et dont on fait actuellement une copie pour VV. AA. SS. Le but particulier de cette instruction approuvée par le congrès fut de réveiller l'attention des nouveaux chevaliers sur des choses essentielles de l'Ordre et de préparer aux frères Grands Profès la liberté de ternir des conférences privées entre eux sans donner aucun ombrage aux autres membres des chapitres ce qui a parfaitement réussi jusqu'à présent.

"Ce travail ainsi consommé, les deux chanceliers qui avaient présidé le comité admirent aux grades de Profès et de Grands Profès ceux des dignitaires et officiers des chapitres qui se trouvaient alors à Lyon et on leur présenta les instructions secrètes, comme étant des papiers importants adressés par des frères étrangers qui avaient annoncé au congrès, et dont on venait d'achever la traduction ; après ceux-là seulement que le comité secret avait reconnu digne de cette communication, on procéda à la réception de ceux qui avaient été les confidents de ma rédaction ; au moyen de quoi tout soupçon de connivence entre eux et, moi fut absolument écarté...

"De plus quoiqu'il existe ici depuis dix à neuf ans une petite société composée de ceux que j'ai reçu à divers degrés dans l'Ordre que je professe, laquelle n'est connue que de ceux qui la forment, maçons et autres, cependant quelques frères qui sont aujourd'hui Grands Profès présumaient depuis longtemps que j'avais acquis quelques connaissances sur ces matières dont j'aimais à m'entretenir avec quelques amis particuliers. Je n'ai donc point répugné de déclarer au collège métropolitain que je trouvais les principes et doctrines contenues dans les instructions des Grands Profès conformes à ceux dont j'avais antérieurement acquis la connaissance ailleurs. Cet aveu a déterminé une confiance plus grande en moi et en ceux que j'ai dénommé et m'a donné plus de liberté pour expliquer dans les conférences journalières les sens obscurs de quelques passages des dites instructions.

"La marche qui a été tenue et qui m'avait parue nécessaire pour le principe de cet établissement aurait été pénible à soutenir longtemps : elle a aussi, j'en conviens, bien des inconvénients, mais ils vont en diminuant à mesure que la mémoire des moyens qui furent employés pour la fondation s'affaiblit et ils sont bien récompensés par les grands biens qui en sont résultés. On peut dire avec vérité que la maçonnerie a totalement changé de face depuis deux ou trois ans partout où les nouveaux grades symboliques ont été adoptés et les collèges secrets établis, surtout à Lyon, Grenoble, Turin, Naples, je pourrais même dire aussi à Strasbourg par les soins du frère Saltzmann, mais les effets n'ont pas été si marqués qu'ailleurs parce que ce digne frère n'a pas été bien secondé et a rencontré beaucoup d'obstacles...

"Je m'aperçois aussi que je n'ai pas répondu à la 5ème question, savoir cette fraternité formée à Lyon possède-t-elle le vrai degré des Elus ? Pour répondre à cette question il faudrait que le Frère Haugwitz voudrait bien me dire nettement, et sans aucun voile en quoi consiste son vrai degré des élus ? Quel en est le but et le terme présent et futur ? Enfin, quel sens il attache à ces mots ? et c'est en cela que je lui demande à mon tour une preuve de sa confiance... il faut commencer par s'entendre clairement, sur l'objet. Le 7ème grade que je possède, est vraiment le degré des Elus dans cette classe, puisqu'on y trouve des preuves évidentes de sa vérité. Quelques-uns de mes frères s'en sont rapprochés, mais ne la possèdent pas encore..."


Willermoz




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