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ROMAN Questions de Rituels




QUESTIONS DE RITUELS


Denys Roman


René Guénon n’a jamais cessé de dénoncer l’expression « jouer au rituel », inventée par Oswald Wirth pour critiquer le comportement des Loges anglo-saxonnes, pour lesquelles effectivement le « travail » maçonnique consiste avant tout dans l’exécution des rites (1). Wirth, en effet, comme beaucoup de Maçons français d’ailleurs, pensait que le véritable travail initiatique consiste dans les « planches », c’est-à-dire dans les discours pompeusement qualifiés de « morceaux d’architecture » où des Frères, désignés à tour de rôle pour la corvée de quinzaine, débitent n’importe quoi sur des sujets le plus souvent totalement étrangers à toute idée d’initiation.

Si une planche, quand elle traite de symbolisme, de technique initiatique ou d’histoire « sacrée », est parfaitement à sa place en Loge, il n’en reste pas moins que le véritable travail maçonnique est l’exécution du rituel. Guénon répondait toujours avec précision quand on l’interrogeait sur ce point, et il déplorait la manie des Maçons français de procéder à la « modernisation des rituels ». Nous voudrions, dans ce chapitre, exposer quelle fut en la matière la doctrine de ce Maître.

Des trois Rites réguliers en usage en France (Rite Écossais Ancien et Accepté, Rite français ou moderne, Rite Rectifié), c’est le premier qui avait sa préférence, et parmi les nombreuses versions de ce Rite, il appréciait particulièrement celle de la Loge « Thébah », atelier auquel il avait appartenu (2). Il conseillait même de partir de cette version pour constituer des rituels d’esprit vraiment initiatique qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, lui furent demandés à la fois en France, en Italie et dans un pays de langue arabe.

Pour Guénon, quand on a fait choix d’un Rite, il faut conserver rigoureusement les « caractéristiques », c’est-à-dire les signes, mots sacrés, marches, âges rituels, batteries et autres choses énumérées dans les « tuileurs ». Il faut ensuite éliminer toutes les innovations « modernisantes », en général facilement reconnaissables (3). Cela terminé, il est parfaitement légitime d’introduire des éléments rituéliques dont on reconnaît le caractère traditionnel, même s’ils sont empruntés à des Rites différents de celui sur lequel on travaille. Donnons quelques exemples.

À la formule française « À la gloire du Grand Architecte de l’Univers », Guénon conseillait de substituer la formule anglaise « Au nom du Grand Architecte de l’Univers ». De plus, au lieu de travailler aux trois grades bleus sous l’invocation du Grand Architecte, il estimait bien préférable de placer le second degré sous celle du Grand Géomètre de l’Univers et le troisième degré sous celle du Très-Haut.

Un autre emprunt que Guénon conseillait de faire aux rituels anglais est celui des « Lectures ». Il s’agit d’« instructions » beaucoup plus développées que les « catéchismes » français ; elles comportent 7 sections pour le premier degré, 5 pour le second, 3 pour le troisième. Sous forme de demandes et de réponses, ce sont des commentaires sur les symboles et aussi sur certains textes de l’Écriture. Guénon conseillait de les adopter et d’en éliminer le caractère moralisant au profit de leur signification initiatique. Nous pensons aussi qu’il y aurait lieu d’y introduire la relation des principaux faits de l’« Histoire traditionnelle » de la Maçonnerie et surtout de la « légende du métier », en en faisant ressortir la signification spirituelle.

Enfin, Guénon approuvait entièrement l’introduction dans les rituels français d’un usage anglais propre au 3e degré. Il s’agit de la « promulgation des signes substitués » par le « Très Respectable Maître » représentant le roi Salomon, et qui déclare « qu’à l’avenir ils serviront sur toute la terre de signes de reconnaissance aux Maîtres Maçons, jusqu’à ce que le temps et les circonstances permettent de restituer les signes originels ». Ce sont là des termes dont il est inutile de souligner l’importance.

Les Maçons d’esprit moderne, qui se flattent d’être à l’avant-garde du Progrès, demanderaient sans doute quel intérêt il peut bien y avoir à restaurer des formules vieillies, dont personne ne comprend plus le sens. Ils ont raison : de leur point de vue, cela n’offre en effet aucun intérêt. Les Maçons traditionnels, eux, et surtout les Maçons d’esprit « guénonien », savent que ces formules archaïques ne sauraient jamais être « périmées », car elles sont toutes chargées d’« influences spirituelles », elles constituent un « jargon » c’est-à-dire la véritable « langue sacrée » de la Maçonnerie, et leur oubli définitif serait un acte d’une exceptionnelle gravité. Il convient au contraire de leur redonner « force et vigueur », car ce « rassemblement » (cette « réintégration ») des éléments « épars » du langage, c’est-à-dire du « verbe » maçonnique, constitue une condition nécessaire à la redécouverte de la « Parole perdue ».


Si les ouvrages traitant d’histoire de la Maçonnerie sont nombreux, il n’en est pas de même pour les œuvres consacrées à son rituel et à son symbolisme. L’œuvre de René Guénon, bien entendu, surpasse toutes les autres en ce domaine. Un Italien, Arturo Reghini, a donné de très brillantes études, malheureusement trop souvent limitées au symbolisme numéral et géométrique. Un Maçon anglais, John-T. Lawrence, a publié quelques ouvrages qui sont devenus en Angleterre des « classiques » des études maçonniques (4).Charles Clyde Hunt a donné au Grand Lodge Bulletin d’Iowa de nombreux articles, réunis en 1938 sous le titre Masonic Symbolism (5). Et, plus récemment, ont paru en langue espagnole des manuels consacrés aux 4 premiers degrés du Rite écossais, ouvrages qui, disons le très nettement, sont bien supérieurs aux ouvrages analogues d’Oswald Wirth sous le rapport symbolique et rituel (6).Nous nous proposons d’en examiner certains aperçus qui ont retenu notre attention.

Dans le manuel du grade d’Apprenti, par exemple, nous trouvons, sur la lettre B, en tant que « première lettre cosmologique », des considérations qui rappellent singulièrement ce qu’a écrit René Guénon sur cette lettre, première lettre de Bereshith (mot par lequel débute la Genèse, et aussi l’Évangile selon saint Jean traduit en hébreu). « Magister » fait remarquer que le B hébreu est la lettre beth, et que le mot beth signifie « maison ». La forme hébraïque de la lettre beth est d’ailleurs considérée comme l’hiéroglyphe du Temple. Mais on aurait pu ajouter quelques considérations sur Booz lui-même dont la Bible affirme qu’il « bâtit pour la seconde fois la maison d’Israël » et auquel il fut dit : « Manifeste ta force en Ephrata, fais-toi un nom dans Bethléem. » Il ne faudrait pas non plus oublier que la vie terrestre du Christ commence à Bethléem, c’est·à-dire dans la « maison du pain ».

Passons maintenant au second degré. Tout le monde convient qu’il s’agit là du grade le moins riche des 3 grades symboliques, le moins riche et aussi celui qui a été le plus maltraité par les « modernisateurs » à outrance. Et cependant, l’auteur a trouvé le moyen de nous donner, sur ce grade déshérité, un volume de 220 pages dense et intéressant, et en somme digne du premier. Il faut avant tout le louer sans réserve d’avoir entièrement passé sous silence les 5 fameux « Philosophes » qui, dans certains rituels, ont pris la place de la station entre le ciel et la terre.

Ce que dit l’auteur sur la « noblesse du travail » est à rapprocher des études de Coomaraswamy et d’Éric Gill dont René Guénon a rendu compte abondamment dans les Études Traditionnelles de 1938 à 1939, et aussi du passage bien connu de Saint Paul dans la seconde Épître aux Thessaloniciens (III, 6 – 18). Mentionnons en passant que ce texte scripturaire est utilisé lors de l’ouverture d’un Chapitre de la « Sainte Royale Arche », selon la version qui procède de la Grande Loge des « Anciens ». Au moment le plus solennel de l’ouverture des travaux, le « Grand-Prêtre » lit ce texte dans la Bible, tous les Compagnons formant alors l’« arche caténaire ».

Les considérations de « Magister » sur un tel sujet se terminent par d’excellentes remarques sur l’attitude « active », indispensable pour l’accession à la maîtrise, et sur les dangers de l’attitude inverse, c’est-à-dire « passive ». « L’être actif agit librement, quelles que soient les circonstances ; l’être passif est l’esclave du hasard. » Et, pour le dire en terminant, c’est justement parce que tout dans l’initié doit être le fruit d’une « élection rituelle » (presque au sens alchimique de ce terme), et rien la conséquence d’un « hasard » (ou plutôt de ce qui apparaît sur la terre comme un hasard) que le récipiendaire est tenu d’être « né libre ».

Le volume consacré au grade de Maître est peut-être le moins « réussi » des quatre, car l’auteur, se cantonnant exclusivement dans le rituel écossais, a laissé de côté des symboles nombreux et importants qui figurent dans les rituels anglo-américains, tels que la « lumière du Maître Maçon », les « ténèbres visibles », la lucarne, le voile déchiré, la pierre roulée, l’arche, la manne, la rosée, le vase d’encens, la bêche, la ruche. Néanmoins on trouve dans cet ouvrage sur le 3e degré des notions intéressantes, en particulier sur l’« accusation de meurtre », la rétrogradation, la « marche mystérieuse des Maîtres », les « traces » de la fuite d’Hiram-Abi dans le Temple, les obligations du serment, le cordon de Maître, la sublimation, et surtout sur Tubalcaïn. Remarquons aussi que « Magister » a bien vu l’importance de la « restitution des métaux », œuvre de prédilection du Grand-Maître Hiram-Abi « qui fit pour le roi Salomon les deux colonnes de bronze et la mer d’airain ». Par cette restitution, les métaux cessent de symboliser les vices pour symboliser désormais les vertus, l’orgueil cédant la place à la foi, etc.

Le 4e volume de « Magister » traite du grade de « Maître secret », premier degré des « Loges de perfection ». L’auteur, considérant que les 30 hauts grades du Rite Écossais se réduisent en réalité à beaucoup moins (le plus grand nombre étant simplement conféré « par communication »), déplore qu’ainsi un grand nombre de symboles parfois importants soient pratiquement éliminés de l’enseignement maçonnique. Pour y remédier, il propose de réduire le nombre des hauts grades à 9 et d’y répartir la totalité du trésor symbolique de l’Ordre. Mais ainsi le nombre 33, si éminemment symbolique par lui-même, disparaîtrait. Il serait plus judicieux, pensons-nous, de réciter, à chacun des hauts grades conférés dans leur plénitude rituélique, les « questions d’ordre » des grades antécédents donnés par communication : le symbolisme oral de ces grades serait ainsi sauvegardé ; quant à leur symbolisme figuré, comme il ne saurait naturellement être question de réunir dans un atelier tous les « Tableaux de Loge » des grades antérieurs, ne pourrait-on pas leur substituer les blasons de ces grades ? Chaque degré écossais possède en effet des armoiries qui actuellement ne figurent que dans l’atelier du Suprême Conseil (7). Il serait bon d’en donner connaissance aux grades intéressés, surtout si l’on réfléchit à l’importance de l’héritage chevaleresque dans le Rite ancien et accepté (8).

« Magister », selon la solution qu’il propose, étudie dans son volume sur le « Maître secret » des symboles propres aux grades suivants, et notamment au 5e degré : « Maître Parfait », où se trouve la formule : « Le Maître Parfait connaît le cercle et sa quadrature. » Viennent ensuite des considérations sur le tombeau d’Hiram, la translation du corps, le laurier et l’olivier, la clé, le point au centre du cercle, l’œil, la Tétraktys, enfin les symboles proprement kabbalistiques, si nombreux dans les grades « de perfection » : l’arbre des Sephiroth, l’Arche d’Alliance, le chandelier à 7 branches, les dix commandements.

Nous ne savons si les Suprêmes Conseils sud-américains ont donné une suite quelconque aux suggestions, audacieuses il faut bien le dire, de « Magister ». Il est probable que non. Cependant cet auteur était très conscient du fait que, selon la formule bien connue, « il n’est au pouvoir de personne de faire des innovations dans le corps de la Maçonnerie ». Et ses propositions visaient non pas à « moderniser les rituels »  – ce qui est bien la pire des innovations –, mais au contraire à maintenir ou à rétablir des éléments du « travail » maçonnique abandonnés ou simplement oubliés.


Les ouvrages de « Magister » dont nous venons de parler sont l’expression d’une volonté de renouer avec la tradition maçonnique. On ne saurait donc assimiler de telles propositions à ces véritables falsifications que constituent l’œuvre d’Anderson et celle de Willermoz. Nous voudrions, avant de terminer ce chapitre, parler de deux usages, le premier disparu, l’autre qui tend à se répandre en France, et que l’on peut considérer sinon comme des rites dans le plein sens de ce mot, du moins comme des pratiques parfaitement légitimes et même dignes d’intérêt.

Guénon a parlé du « code maçonnique » et en a commenté le premier article (9). Nous avons de ce code plusieurs versions, qui sont toutes des amoindrissements, pour ne pas dire des dégénérescences moralisantes, de ce qui dut être à l’origine un « aide-mémoire » de la méthode initiatique de la Maçonnerie, et l’on devait en donner connaissance aux néophytes après leur avoir communiqué les symboles de l’Ordre, qui en constituent la doctrine (10). Même si ce qui nous est parvenu de ce texte n’est plus qu’un « vestige », il serait peut-être bon de conserver ce vestige (qui pourrait aussi devenir un « germe »), jusqu’à ce que le temps et les circonstances permettent de lui restituer la plénitude de son « efficacité » originelle (11).

Depuis quelques années plusieurs Loges françaises ont pris l’habitude, à la fin de l’ouverture des travaux, de lire le prologue de l’Évangile selon saint Jean. Cette lecture se fait avec une certaine solennité, les deux Diacres (ou, à leur défaut, l’Expert et le Maître des Cérémonies) faisant, au-dessus du lecteur, un simulacre de « voûte d’acier ». Il n’y a rien que de très louable en cela, si ce n’est peut-être qu’au terme de leur vie, bien des Frères connaîtront par cœur le prologue en question, sans avoir jamais entendu parler en Loge des multiples passages à résonance initiatique de l’Évangile de Jean, des autres Évangiles et en général de tous les livres saints (12). John T. Lawrence a fait une suggestion qui nous semble beaucoup plus judicieuse (13). Rappelant que dans les rituels anglais, le Vénérable, à la clôture des travaux, demande par trois fois si un Frère a quelque chose à proposer « pour le bien de l’Ordre en général ou de l’atelier en particulier », et que d’ordinaire personne alors ne souffle mot, il conseille qu’un Officier demande la lecture d’une section du Livre de la Loi Sacrée. Si nous mentionnons cette proposition de Lawrence, c’est que, dans toutes les civilisations traditionnelles, les Livres saints ont été considérés comme l’expression de la Sagesse divine. Dans les pays latins, où la même demande du Vénérable existe (mais formulée une seule fois, et toujours ordinairement sans réponse) ce rite est suivi par la formation de la « chaîne d’union » (expression de la Force communielle des Frères) puis par la circulation du tronc de la Veuve (manifestation de leur charité, qui est la vertu théologale correspondant à la Beauté). On voit que la proposition de Lawrence, jointe aux usages des Loges latines, constitue un hommage solennel au ternaire « Sagesse, Force, Beauté », hommage parfaitement à sa place à la clôture des travaux, et qui a sans doute existé réellement à une époque plus ou moins reculée (14).

Nous bornerons là ces réflexions sur les rituels, qui constituent en somme le symbolisme parlé, la « tradition orale » de la Maçonnerie. Ce symbolisme oral a été beaucoup plus maltraité au cours des âges que le symbolisme figuré, parce que, transmis en principe de bouche à oreille, il a été souvent victime de l’incompréhension des transmetteurs. Mais pour quiconque, à l’école de René Guénon, a pris connaissance des règles rigoureuses de cette science exacte qu’est le symbolisme universel, il ne fait aucun doute que ces mots parfois altérés, ces formules énigmatiques et ces légendes le plus souvent invraisemblables sont les vestiges, affaiblis mais toujours vivants, d’une doctrine sublime et d’une méthode efficace inspirées par une Sagesse non humaine (15).


Denys Roman



Notes :

(1) Oswald Wirth racontait volontiers une anecdote puisée dans les contes maçonniques de Rudyard Kipling. Un Maçon londonien passait en Loge toutes ses soirées, parcourant successivement les innombrables ateliers de la capitale anglaise. Un autre visiteur impénitent lui ayant demandé quel charme il pouvait bien trouver à entendre, 365 fois par an, répéter les mêmes formules, l’interpellé répondit : « Je guette les fautes. » Connaissant les rituels par cœur, il prenait un malin plaisir, le cas échéant, à signaler aux Officiers de Loge, une fois les travaux fermés, les erreurs qu’ils avaient commises. Ce n’était peut-être pas le moyen de pénétrer le sens profond du rituel. Mais, après tout, quand on est Anglais, on a bien le droit d’être original. 

(2) La renommée du rituel de « Thébah » est telle qu’il circule sous ce nom bien des textes qui n’ont absolument rien de commun avec le rituel authentique. Ce dernier n’est pourtant pas difficile à connaître car il figure en appendice dans un ouvrage anti-maçonnique qui fit grand bruit avant la dernière guerre : il s’agit de La trahison spirituelle de la Franc-Maçonnerie, par Marques-Rivière. On pourrait y vérifier notamment que « Thébah » avait rétabli l’office des Diacres, et que son rituel ne comportait nullement, à l’ouverture des travaux, la lecture du prologue de l’Évangile selon saint Jean. Signalons que le rituel de « Thébah » est une simplification d’un rituel écossais du Premier Empire qui contenait quelques éléments que « Thébah » n’a pas gardés. Par exemple, à l’ouverture, la « circulation du mot de passe » ; et dans la réception au 1er degré, la « marche labyrinthique » du récipiendaire avant son introduction dans le Temple. Mentionnons aussi les très légères réserves que faisait René Guénon sur ce rituel : par exemple, que le Vénérable ne devrait pas se découvrir quand il prononce le nom du Grand Architecte de l’Univers. Selon Guénon, si le Vénérable doit rester toujours couvert, c’est parce qu’il est censé travailler toujours au grade de Maître, et que ce dernier grade ayant un caractère hébraïque marqué, tout (comme dans les rites religieux des juifs) doit se faire la tête couverte. Enfin il conseillait la suppression, au cours de la réception au 1er degré, du cadavre recouvert d’un tablier ensanglanté, qui symbolise la mort à l’état profane. Guénon disait que c’était là « un accessoire un peu trop théâtral ». 

(3) Que penser, par exemple, d’un rituel où, lorsque le vénérable demande : « Quelle heure est-il ? », l’interpellé regarde sa montre-bracelet, puis répond : « 20 heures 47 » ? L’expression « fonds de bienfaisance », substituée à celle de « tronc de la Veuve », n’est pas mal non plus. Mais on n’en finirait pas de signaler les erreurs, dues en général à l’ignorance des principes les plus élémentaires du symbolisme, comme celle qui fait parfois suspendre les « Tableaux de Loge » aux parois du Temple, alors que l’orientation de ces tableaux est très précisément indiquée de façon qu’ils soient placés au centre de la Loge, où ils figurent la « terre sacrée ». 

(4) Cf. Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t. II, pp. 301-305. 

(5) Cf. Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t. I, pp. 144-145. 

(6) Voici les titres de ces 4 ouvrages : Manual del Aprendiz ; Manual del Companero ; Manual del Maestro ; Manual del Maestro secreto. Ces 4 volumes ont été publiés à Buenos Aires (Éditorial Kier). L’auteur se désignant sous le pseudonyme de « Magister ». 

(7) Un ami de Guénon, André Lebey, haut dignitaire du Grand Orient de France, a publié, sous le titre Le Blason maçonnique, un recueil des armoiries des 33 degrés de l’Écossisme, accompagnés pour chacun d’un commentaire sous forme de sonnet. « Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème. » Oui. Mais Le Blason maçonnique d’André Lebey compte 33 sonnets, dont pas un seul, hélas ! n’est sans défaut. 

(8) Guénon a signalé les rapports de l’« art héroïque » (c’est-à-dire la science du blason) avec l’« art royal » (c’est-à-dire l’hermétisme). Cf. L’Ésotérisme de Dante, chap. III. Sur la couverture du présent ouvrage (René Guénon et les Destins de la Franc-Maçonnerie, Éditions de l’Œuvre de 1982) sont figurées les armoiries du 32e degré du Rite Écossais,grade dont Guénon a parlé   assez longuement dans le chapitre de La Grande Triade intitulé : « La Cité des saules ». 

(9) Cf. Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t. II, « À propos du Grand Architecte de l’Univers ». 

(10) Toute tradition (et aussi toute initiation) complète comporte à la fois une doctrine (symbolisée souvent par une coupe) et une méthode (représentée fréquemment par une arme : lance ou épée). 

(11) Il subsiste dans le Code quelques « traces » de cette méthode initiatique. Citons par exemple l’injonction de « faire chaque jour un nouveau progrès dans l’art de la Maçonnerie » (les Maçons anglais connaissent aussi cette  formule) et le conseil de lire assidûment le « Livre de la Loi Sacrée et les écrits des anciens Sages ». Remarquons aussi que le début du Code : « Tout d’abord, honore le Grand Architecte de l’Univers en lui rendant le culte qui lui est dû » rappelle un peu le commencement des Vers Dorés : « Tout d’abord, rends aux dieux immortels le culte prescrit par la loi. » Les Vers Dorés sont aussi un écho affaibli et moralisant de l’enseignement secret de Pythagore. 

(12) À la fin du 3e  tome de son Encyclopédie Maçonnique, Mackey a donné une longue liste des textes scripturaires pouvant s’appliquer à la Maçonnerie. Et cette liste est loin d’être complète 

(13) Les ouvrages de Lawrence traitant de symbolisme et de rituel sont Highway and By – Ways of Freemasonry et Side – lights on Freemasonry. 

(14) La Maçonnerie étant ouverte aux hommes de toutes religions, il s’ensuit nécessairement que, pour employer une expression de René Guénon, « la Bible sur l’autel du Vénérable représente l’ensemble des Livres sacrés de tous les peuples ». En conséquence, si, au cours d’une tenue, il y avait dans la Loge un membre (ou même simplement un Frère Visiteur) relevant d’un autre exotérisme que l’exotérisme chrétien, il n’y aurait aucun inconvénient (et ce serait même un acte de simple courtoisie) à faire lire, lors de la clôture, un passage (toujours de préférence ayant un intérêt initiatique) emprunté aux écritures propres à la religion de ce Frère. Ici encore il semble bien que la façon de faire préconisée par Lawrence l’emporte sur toute autre.  

(15) Ce caractère de « science exacte » toujours reconnu par Guénon au véritable symbolisme est particulièrement reconnaissable, on le sait, dans la Kabbale hébraïque, qui a spéculé indéfiniment sur le nombre des mots les plus importants de la Thora (par exemple sur le mot « alliance ») et surtout sur la valeur numérique de ces mots. Pour ce qui est du Nouveau Testament, qui n’est pas écrit dans une langue sacrée, il est assez curieux que ce soit surtout les protestants qui se sont livrés à des recherches du même genre, mais uniquement sur le nombre des mots ; et ils sont parvenus à des résultats assez frappants. Et dans le « poème sacré » qu’est la Divine Comédie, Luigi Valli a découvert que le nombre de certains mots importants au point de vue ésotérique (tel que le mot « Folie », antithèse du mot « Sagesse ») est toujours un nombre sacré. Dans l’ancienne liturgie catholique, le nombre des « signes de la croix » effectués par le prêtre qui célébrait la messe était un nombre sacré ; nous ne savons ce qu’il en est dans les liturgies actuelles. Dès lors, il est bien évident que les rites maçonniques, aussi sacrés dans leur ordre que les rites religieux, doivent participer eux aussi de cette « exactitude » symbolique. Le nombre des coups de maillets, par exemple, ne saurait être arbitraire. Il doit être significatif à la fois pour les deux sciences numériques qui font partie des « arts libéraux » : la géométrie (science des grandeurs continues) et l’arithmétique (science des grandeurs discontinues). De plus ce nombre pourrait être en rapport avec les deux sources principales d’où la Maçonnerie a tiré son enseignement : la tradition monothéiste (c’est-à-dire « abrahamique ») et la tradition gréco-latine, dont l’expression la plus achevée est le Pythagorisme.