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1948 - Hiram dans "La légende des trois mages" de Jules Boucher




LA LÉGENDE DES TROIS MAGES

QUI ONT VISITÉ LA GRANDE VOÛTE
ET DÉCOUVERT LE CENTRE DE L’IDÉE


Extrait de

La Symbolique Maçonnique (1948)


Jules Boucher


Longtemps après la mort d’Hiram et de Salomon et de tous leurs contemporains, après que les armées de Nabuchodonosor eurent détruit le royaume de Juda, rasé la ville de Jérusalem, renversé le Temple, emmené en captivité le reste non massacré des populations, alors que la montagne de Sion n’était plus qu’un désert aride où paissaient quelques maigres chèvres gardées par des Bédouins faméliques et pillards, un matin, trois voyageurs arrivèrent au pas lent de leurs chameaux.

C’étaient des Mages, des Initiés de Babylone, membres du Sacer­doce Universel, qui venaient en pèlerinage et en exploration aux ruines de l’ancien Sanctuaire.

Après un frugal repas, les pèlerins se mirent à parcourir l’enceinte ravagée. L’écrasement des murs et les fûts des colonnes leur permirent de déterminer les limites du Temple. Ils se mirent ensuite à examiner les chapiteaux gisants à terre, à ramasser les pierres pour y découvrir des inscriptions ou des symboles.

Pendant qu’ils procédaient à cette exploration, sous un pan de mur renversé et au milieu des ronces, ils découvrirent une excavation.

C’était un puits situé à l’angle sud-est du Temple. Ils s’employèrent à déblayer l’orifice, après quoi l’un d’eux, le plus âgé, celui qui paraissait le chef, se couchant à plat ventre sur le bord, regarda dans l’intérieur.

On était au milieu du jour, le Soleil brillait au zénith et ses rayons plongeaient presque verticalement dans le puits. Un objet brillant frappa les yeux du Mage. Il appela ses compagnons qui se placèrent dans la même position que lui et regardèrent. Evidemment, il y avait là un objet digne d’attention, sans doute un bijou sacré. Les trois pèlerins résolurent de s’en emparer. lis dénouèrent leurs ceintures qu’ils avaient autour des reins, les attachèrent les unes au bout des autres et en jetèrent une extrémité dans le puits. Alors deux d’entre eux, s’arc-boutant, se mirent en devoir de soutenir le poids de celui qui descendait. Celui-ci, le Chef, empoignant la corde, disparut par l’orifice. Pendant qu’il effectue sa descente, nous allons voir quel était l’objet qui avait attiré l’attention des pèlerins. Pour cela, nous devons remonter plusieurs siècles en arrière, jusqu’à la scène du meurtre d’Hiram.

Quand le Maître eut, devant la porte de l’Orient, reçu le coup de pince du second mauvais Compagnon, il s’enfuit pour gagner la porte du Sud ; mais tout en se précipitant il craignit, soit d’être poursuivi, soit, ainsi que cela devait arriver, de rencontrer un troisième mauvais Compagnon, Il enleva de son cou un bijou qui y était suspendu par une chaîne de soixante-dix-sept anneaux, et le jeta dans le puits qui s’ouvrait dans le Temple, au coin des côtés Est et Sud.

Ce bijou était un Delta d’une palme de côté fait du plus pur métal, sur lequel Hiram, qui était un initié parfait, avait gravé le nom ineffable et qu’il portait sur lui, la face en dedans, le revers seul, exposé aux regards, ne montrant qu’une face unie.

Pendant que, s’aidant des mains et des pieds, le Mage descendait dans la profondeur du puits, il constata que la paroi de celui-ci était divisée en zones ou anneaux faits en pierres de couleurs différentes d’une coudée environ de hauteur chacun. Quand il fut en bas, il compta ces zones et trouva qu’elles étaient au nombre de dix. Il baissa alors ses regards vers le sol, vit le bijou d’Hiram, le ramassa, le regarda et constata avec émotion qu’il portait inscrit le mot ineffable qu’il connais­sait lui-même car il était, lui aussi, un initié parfait. Pour que ses compagnons qui n’avaient pas comme lui la plénitude de l’initiation, ne pussent le lire, il suspendit le bijou à son col par la chaînette, mettant la face en dedans, ainsi qu’avait fait le Maître.

Il regarda ensuite autour de lui et constata l’existence dans la muraille d’une ouverture par laquelle un homme pouvait pénétrer. Il y entra, marchant à tâtons dans l’obscurité. Ses mains rencontrèrent une surface qu’au contact, il jugea être de bronze, Il recula alors, regagna le fond du puits, avertit ses compagnons pour qu’ils tinssent ferme la corde et remonta.

En voyant le bijou qui ornait la poitrine de leur chef, les deux Mages s’inclinèrent devant lui; ils devinèrent qu’il venait de subir une nouvelle consécration, Il leur dit ce qu’il avait vu, leur parla de la porte de bronze. lis pensèrent qu’il devait y avoir là un mystère ils délibé­rèrent et résolurent d’aller ensemble à la découverte.

Ils placèrent une extrémité de la corde faite des trois ceintures sur une pierre plate existant auprès du puits et sur laquelle on lisait encore le mot « Jakin ». Ils roulèrent dessus un fût de colonne où l’on voyait le mot « Booz », puis s’assurèrent qu’ainsi tenue la corde pouvait supporter le poids d’un homme.

Deux d’entre eux firent ensuite du feu sacré à l’aide d’un bâtonnet de bois dur roulé entre les mains et tournant dans un trou fait dans un morceau de bois tendre. Quand le bois tendre fut allumé, ils soufflè­rent dessus pour provoquer la flamme. Pendant ce temps, le troisième était allé prendre, dans les paquetages attachés en croupe des chameaux, trois torches de résine qu’ils avaient apportées pour écarter les animaux sauvages de leurs campements nocturnes. Les torches furent successive­ment approchées du bois enflammé et s’enflammèrent elles-mêmes du feu sacré. Chaque Mage, tenant sa torche d’une main, se laissa glisser le long de la corde jusqu’au fond du puits.

Une fois là, ils s’enfoncèrent, sous la conduite de leur chef, dans le couloir menant à la porte de bronze. Arrivés devant celle-ci, le vieux Mage l’examina attentivement à la lueur de sa torche, Il constata, dans le milieu, l’existence d’un ornement en relief ayant la forme d’une couronne royale, autour de laquelle était un cercle composé de points au nombre de vingt-deux.

Le Mage s’absorba dans une méditation profonde, puis il prononça le mot « Malkuth » et soudain la porte s’ouvrit.

Les explorateurs se trouvèrent alors devant un escalier qui s’enfon­çait dans le sol ils s’y engagèrent, toujours la torche à la main, en comptant les marches. Quand ils en eurent descendu trois, ils rencontrèrent un palier triangulaire, sur le côté gauche duquel commençait un nouvel escalier. Ils s’engagèrent dans celui-ci et, après cinq marches. trouvèrent un nouveau palier de même forme et mêmes dimensions. Cette fois, l’escalier continuait du côté droit et se composait de sept marches.

Ayant franchi un troisième palier, ils descendirent neuf marches et se trouvèrent devant une deuxième porte de bronze.

Le vieux Mage l’examina comme la précédente, et constata l’existence d’un autre ornement en relief représentant une pierre d’angle, entourée aussi d’un cercle de vingt-deux points, Il prononça le mot « Iésod » et cette porte s’ouvrit à son tour.

Les Mages entrèrent dans une vaste salle voûtée et circulaire, dont la paroi était ornée de neuf  fortes nervures partant du sol et se rencon­trant en un point central du sommet.

Ils l’examinèrent à la lueur de leurs torches, en firent le tour pour voir s’il n’y avait pas d’autres issues que celle par laquelle ils étaient entrés, Ils n’en trouvèrent point et songèrent à se retirer mais leur chef revint sur ses pas, examina les nervures les unes après les autres, chercha un point de repère, compta les nervures et soudain il appela. Dans un coin obscur il avait découvert une nouvelle porte de bronze. Celle-là portait comme symbole un Soleil rayonnant, toujours inscrit dans un cercle de vingt-deux points. Le chef des Mages ayant prononcé le mot « Netzah », elle s’ouvrit encore et donna accès dans une deuxième salle.

Successivement, les explorateurs franchirent cinq autres portes égale­ment dissimulées et passèrent dans de nouvelles cryptes.

Sur l’une de ces portes, il y avait une Lune resplendissante, une tête de Lion, une courbe molle et gracieuse, une règle, un rouleau de la loi, un oeil et, enfin, une couronne royale.

Les mots prononcés furent successivement Hod, Tiphereth, Chesed, Geburab, Chochmah, Binah et Kether.

Quand ils entrèrent dans la neuvième voûte, les Mages s’arrêtèrent surpris, éblouis, effrayés. Celle-là n’était point plongée dans l’obscurité elle était, au contraire, brillamment éclairée. Dans le milieu étaient placés trois Lampadaires d’une hauteur de onze coudées, ayant trois branches. Ces lampes, qui brûlaient depuis des siècles, dont la destruction du royaume de Juda, le rasement de Jérusalem et l’écroulement du Temple n’avaient pas amené l’extinction, brillaient d’un vif éclat, illuminant d’une lumière à la fois douce et intense tous les recoins, tous les détails de la merveilleuse architecture de cette voûte sans pareille taillée dans le roc vif.

Les pèlerins éteignirent leurs torches dont ils n’avaient plus besoin, les déposèrent près de la porte, ôtèrent leurs chaussures et rajustèrent leurs coiffures comme en un lieu saint, puis ils s’avancèrent en s’inclinant neuf fois vers les gigantesques lampadaires.

A la base du triangle formé par ceux-ci était dressé un autel de marbre blanc cubique de deux coudées de haut. Sur la face, regardant le sommet du triangle, étaient représentées, en or, les outils de la Maçonnerie la Règle, le Compas, l’Equerre, le Niveau, la Truelle, le Maillet. Sur la face latérale gauche, on voyait les figures géométriques le Triangle, le Carré, l’Etoile à cinq branches, le Cube. Sur la face latérale droite, on lisait les nombres 27, 125, 343, 729, 1331. Enfin, sur la face de derrière, était représenté l’Acacia symbolique. Sur cet autel était posée une pierre d’agathe de trois palmes de côté ; au dessus, on lisait, écrit en lettres d’or, le mot « Adonaï ».

Les deux Mages, disciples, s’inclinèrent, adorèrent le nom de Dieu mais leur chef, relevant au contraire la tète, leur dit « Il est temps pour vous de recevoir le dernier enseignement qui fera de vous des Initiés parfaits. Ce nom n’est qu’un vain symbole qui n’exprime pas réellement l’idée de la Conception Suprême. »

Il prit alors à deux mains la pierre d’agathe, se retourna vers ses disciples en leur disant « Regardez, la Conception Suprême , la voilà Vous êtes au Centre de l’idée. »

Les disciples épelèrent les lettres Iod, Hé, Vav, Hé et ouvrirent la bouche pour prononcer le mot, mais il leur cria « Silence c’est le mot ineffable qui ne doit sortir d’aucune lèvre. »

Il reposa ensuite la pierre d’agathe sur l’autel, prit sur sa poitrine le bijou du Maître Flirani et leur montra que les mêmes signes s’y trouvaient gravés.

« Apprenez maintenant, leur dit-il, que ce n’est pas Salomon qui fit creuser cette voûte hypogée, ni construire les huit qui la précèdent, pas plus qu’il n’y cacha la pierre d’agathe. La pierre fut placée par Hénoch, le premier de tous les Initiés, l’Initié Initiant, qui ne mourut point, mais survit dans tous ses fils spirituels. Hénoch vécut longtemps avant Salomon, avant même le déluge. On ne sait à quelle époque furent bâties les huit premières voûtes et celle-ci creusée dans le roc vif ». Cependant, les nouveaux grands Initiés détournèrent leur attention de l’autel et de la pierre d’agathe, regardèrent le ciel de la Salle ,qui se perdait à une hauteur prodigieuse, parcoururent la vaste nef ou leurs voix éveillaient des échos répétés. Ils arrivèrent ainsi devant une porte soigneusement dissimulée et sur laquelle le symbole était un vase brisé. Ils appelèrent leur Maître et lui dirent « Ouvre-nous encore cette porte. il doit-y avoir un nouveau mystère derrière. — Non, leur répondit-il, il ne faut point ouvrir cette porte, Il y a là un mystère, mais c’est un mystère terrible, un mystère de mort. — Oh, tu veux nous cacher quelque chose, le réserver pour toi mais nous voulons tout savoir, nous l’ouvri­rons nous-mêmes, cette porte. »

Ils se mirent alors à prononcer tous les mots qu’ils avaient entendus de la bouche de leur Maître puis comme ces mots ne produisaient aucun effet, ils dirent tous ceux qui leur passèrent par l’esprit. Ils allaient renoncer, quand l’un d’eux prononça « Nous ne pouvons cependant pas continuer à l’infini. » Sur ce mot En Soph, la porte s’ouvrit avec violence, les deux imprudents furent renversés sur le sol, un vent furieux souffla dans la voûte, les lampes magiques en furent éteintes.

Le Maître se précipita sur la porte, s’y arc-bouta, appela ses disciples à l’aide ils accoururent à sa voix, s’arc-boutèrent avec lui, et leurs efforts réunis, parvinrent enfin à refermer la porte.

Mais les lumières ne se rallumèrent point, les Mages furent plongés dans les ténèbres les plus profondes. Ils se rallièrent à la voix de leur Maître. Celui-ci leur dit : « Hélas, cet événement terrible était à prévoir. Il était écrit que vous commettriez cette imprudence. Nous voici en grand danger de périr dans ces lieux souterrains ignorés des hommes. Essayons cependant d’en sortir, de traverser les huit voûtes et d’arriver au puits par lequel nous sommes descendus. Nous allons nous prendre par la main, nous marcherons jusqu’à ce que nous rencontrions la Porte de sortie. Nous recommencerons dans toutes les salles jusqu’à ce que nous soyons arrivés au pied de l’escalier de vingt-quatre marches. Espérons que nous y parviendrons ».

Ainsi firent-ils, Ils passèrent des heures d’angoisse, mais ils ne déses­pérèrent point. Ils arrivèrent au pied de l’escalier de vingt-quatre mar­ches. Ils le gravirent en comptant 9, 7, 5 et 3 et se retrouvèrent au fond du puits, Il était minuit, les étoiles brillaient au firmament ; la corde des ceintures pendait encore.

Avant de laisser remonter ses Compagnons, le Maître leur montra le cercle découpé dans le ciel par la bouche du puits et leur dit « Les dix cercles que nous avons vus en descendant représentant aussi les voûtes ou arches de l’escalier ; la dernière correspond au nombre onze, celle d’où a soufflé le vent du désastre, c’est le ciel infini avec des luminaires hors de notre portée qui le peuplent. »

Les trois Initiés regagnèrent l’enceinte du Temple en ruines ils roulèrent de nouveau le fût de colonne sans y voir le mot « Booz ». Ils détachèrent leurs ceintures, s’en enveloppèrent, se mirent en selle puis, sans échanger une parole, plongés dans une profonde méditation sous le ciel étoilé, au milieu du silence nocturne, ils s’éloignèrent au pas lent de leurs chameaux, dans la direction de Babylone.