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2010 - Le meurtre de Thomas Becket


"Le meurtre de Thomas Becket"
Peinture dans la Guild Chapel of the Holy Cross, à Stratford-upon-Avon


LE MEURTRE DE THOMAS BECKET


Quelques auteurs ou historiens de la Maçonnerie, dont Albert McKey et W. J. Williams, ont suggéré un lien entre la légende d’Hiram Abif et le meurtre le 29 décembre 1170 de Thomas Becket, par des envoyés du roi Henri II, avec lequel l’archevêque de Canterbury était en profond désaccord politique. Canonisé en 1173, Thomas Becket deviendra le saint Thomas vénéré par certaines guildes de maçons à Londres...

Je vous livre ci-après le récit de ce meurtre dans la version de Charles Picot, in  «Historical Narrations in French», édité à Philadelphie chez Thomas, Cowperthwait & C° en 1848.

L.A.T.


 Meurtre de Thomas Becket.

THOMAS BECKET venait d'achever son repas du matin, et ses serviteurs étaient encore à table; il salua les Normands à leur entrée, et demanda le sujet de leur visite. Ceux-ci ne lui firent aucune réponse intelligible, s'assirent, et le regardèrent fixement pendant quelques minutes. Régnault, fils d'Ours, prit ensuite la parole : "Nous venons," dit-il, "de la part du roi, pour que les excommuniés soient absous, que les évêques suspendus soient rétablis, et que vous-même donniez raison de vos desseins contre le roi."—" Ce n'est pas moi," répondit Thomas, " c'est le souverain pontife lui-même qui a excommunié l'archevêque d'York, et qui seul par conséquent a droit de l'absoudre. Quant aux  autres, je les rétablirai, s'ils veulent me faire leur soumission." —" Mais de qui donc," demanda Régnault, " tenez-vous votre archevêché ?—Est-ce du roi, ou du pape ?"—" J'en tiens les droits spirituels de Dieu et du pape, et les droits temporels du roi." — " Quoi ! ce n'est pas le roi qui vous a tout donné !" — "Aucunement," répondit Becket. Les Normands murmurèrent à cette réponse, traitèrent la distinction d'argutie, et firent des mouvements d'impatience, s'agitant sur leur siége et tordant leurs gants qu'ils tenaient à la main, " Vous me menacez, à ce que je crois," dit le primat, " mais c'est inutilement : quand toutes les épées de l'Angleterre seraient tirées contre ma tête, vous ne gagneriez rien sur moi." — "Aussi ferons-nous mieux que menacer," répliqua le fils d'Ours, se levant tout-à-coup ; et les autres le suivirent vers la porte, en criant  "Aux armes !"

La porte de l'appartement fut fermée aussitôt derrière eux : Régnault s'arma dans l'avant-cour ; et, prenant une hache des mains du charpentier qui travaillait, il frappa contre la porte pour l'ouvrir ou la briser. Les gens de la maison, entendant les coups de hache, supplièrent le primat de se réfugier dans l'église, qui communiquait à son appartement par un cloître ou une galerie ; il ne le voulut point ; et on allait l'entraîner de force, quand un des assistants fit remarquer que l'heure des vêpres avait sonné. ' " Puisque c'est l'heure de mon devoir, j'irai à l'église," dit l'archevêque ; et, faisant porter sa croix devant lui, il traversa le cloître à pas lents, puis marcha vers le grand autel, séparé de la nef par une grille de fer entr'ouverte. A peine il avait les pieds sur les marches de l'autel, que Régnault, fils d'Ours, parut à l'autre bout de l'église, revêtu de sa cotte de mailles, tenant à la main sa large épée à deux tranchants, et criant : " A moi ! à moi ! loyaux servants du roi." Les autres conjurés le suivirent de près, armés comme lui de la tête aux pieds, et brandissant leurs épées. Les gens qui étaient avec le primat voulurent alors fermer la grille du chœur ; luimême le leur défendit, et quitta l'autel pour les en empêcher; ils le conjurèrent, avec de grandes instances, de se mettre en sûreté dans l'église souterraine, ou de monter l'escalier par lequel, à travers beaucoup de détours, on parvenait au faîte de l'édifice. Ces deux conseils furent repoussés aussi positivement que les premiers. Pendant ce temps, les hommes armés s'avançaient ; une voix cria :—" Où est le traître ?"—Becket ne répondit rien.—" Où est l'archevêque ?"—"Le voici," répondit Becket ; " mais il n'y a pas de traître ici. Que venez-vous faire dans la maison de Dieu avec un pareil vêtement ? quel est votre dessein ?"—" Que tu meures."—" Je m'y résigne ; vous ne me verrez point fuir devant vos épées ; mais, au nom de Dieu tout-puissant, je vous défends de toucher à aucun de mes compagnons, clerc ou laïc, grand ou petit..." Dans ce moment il reçut par derrière un coup de plat d'épée entre les épaules ; et celui qui le lui porta lui dit : " Fuis, ou tu es mort." Il ne fit pas un mouvement ; les hommes d'armes entreprirent de le tirer hors de l'église, se faisant scrupule de l'y tuer. Il se débattit contre eux, et déclara fermement qu'il ne sortirait point, et les contraindrait à exécuter sur la place même leurs intentions ou leurs ordres. Guillaume de Tracy leva son épée, et, d'un même coup de revers trancha la main d'un moine saxon appelé Edward Gryn, et blessa Becket à la tête. Un second coup, porté par un autre Normand, le renversa la face contre terre ; un troisième lui fendit le crâne, et fut assené avec une telle violence, que l'épée se brisa sur le pavé. Un homme d'armes, appelé Guillaume-Mautrait, poussa du pied le cadavre immobile, en disant : " Qu'ainsi meure le traître qui a troublé le royaume et fait insurger les Anglais."