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1851 - "L'Arche Sainte"


(Tombeau du roi Hiram de Tyr)


HIRAM DANS...

L’ARCHE SAINTE

OU LE GUIDE DU FRANC-MACON

(Extraits)

Lyon, Imprimerie typographique de B. Boursy

1851



TROISIÈME GRADE, OU GRADE DE MAITRE.

En 1649, le système de réformation maçonnique dont nous avons déjà parlé, fut complété, dit-on, par la création du grade de maître. Comme cette époque est précisément celle de la mort tragique de Charles Ier, on pense que le drame d'Hiram fut composé par les partisans des Stuarts pour consacrer la mémoire du roi malheureux. On peut combattre cette assertion par ce fait. que la commémoration dont il s'agit, peut aussi bien s'appliquer aux grades de Maître secret, d'Elu parfait, etc., qu'à celui de la maîtrise.

D'autres écrivains ont cru voir dans l'allégorie d'Hiram la mort de Jacques Molay. Nous retrouverons la commémoration plus frappante de cette fin terrible dans les grades d'Elus. Quoiqu'il en soit, nous préférons voir dans la figure d'Hiram la personnification de Bouddha, d'Osiris, etc., et dans le mythe, la continuation des anciens mystères. Nous avons à la fin du deuxième chapitre de ce livre, démontré l'analogie frappante qui existe entre le héros de la franc-maçonnerie et ceux de la mythologie antique. Nous allons maintenant retracer le canevas historique sur lequel on a composé le drame du MAITRE.

Salomon, au moment d'élever son temple fameux, demanda à Hiram, roi de Tyr, des bois du Liban et un architecte habile pour diriger les travaux de l'édifice. Le roi lui envoya un ouvrier habile portant le même nom que lui. Cet ouvrier, doué d'une grande activité, d'un mérite incontestable, présida à l'exécution de toutes les parties des travaux, avec un art et une science qui lui créèrent des jaloux, parmi les autres ouvriers employés à la construction du temple. Trois d'entre eux formèrent le criminel projet de l'assassiner pour le remplacer.

Un jour, ils se placèrent chacun à l'une des portes du temple pour attendre le maitre. Celui-ci se présenta à la porte de l'orient. L'un des assassins lui demanda la parole sacrée. Il refusa de la donner, et il fut frappé d'un coup de maillet. Hiram s'enfuit. Son assassin le poursuivit jusqu'à la porte du midi, où veillait le deuxième mauvais compagnon qui lui porta un nouveau coup. Hiram se traîna jusqu'à la porte de l'occident, où le troisième mauvais compagnon le renversa en lui portant un dernier coup de maillet sur la tête. Les trois criminels jetèrent alors un voile noir sur la partie supérieure du cadavre qu'ils transportèrent dans un lieu écarté, creusèrent à la hâte une*fosse où ils le jetèrent; ils recouvrirent la fosse avec des feuilles, et y plantèrent une branche d'acacia pour montrer l'endroit.

Le lendemain, les ouvriers attendirent inutilement Hiram. Pleins d'inquiétude, ils allèrent de tous côtés à sa recherche. Ils l'appelaient de son nom, et les échos seuls leur répondaient.

Les assassins n'étaient pas les moins tristes et les moins empressés. Les ouvriers désignèrent neuf d'entre eux pour continuer les recherches que l'intempérie de la saison rendait encore plus difficiles. Pendant ce temps-là, les trois mauvais compagnons s'étaient offerts pour continuer les travaux. Ils furent accueillis par les uns et repoussés par les antres. Bientôt l'anarchie succéda à l'activité, à l'ordre, et ce fut alors que l'absence d'Hiram, ce grand génie, ce maître parfait, se fit plus vivement sentir parmi eux.

Cependant les neuf compagnons étant arrivés dans le lieu où Hiram avait été inhumé, ils soulevèrent la branche d'acacia qui n'avait point de racines. C'est là qu'il repose, s'écrièrent-ils ! Ils enlevèrent la branche, écartèrent les feuilles et aperçurent le corps de leur maître. L'un d'eux essaya de le soulever en le prenant par un bras. Le bras glissa de sa main, et il crut qu'il s'était détaché du corps. Il s'écria : Mak Benac... « La chair quitte les os ! »

Hiram n'était point mort; il avait survécu à ses blessures. En entendant ses fidèles compagnons, il se leva radieux et leur dit : Ne pleurez plus, vous m'avez retrouvé! Il se dirigea au milieu d'eux vers le temple où tous les ouvriers l'accueillirent par des cris de joie. Ils le couvrirent de fleurs et lui jurèrent une fidélité inaltérable. Hiram leur promit que, sous ses ordres, le temple s'achèverait. Ils battirent des mains en signe d'allégresse.

Telle est l'allégorie aussi simple que touchante de notre maître Hiram. Il est le symbole incarné de la science, de la vertu, de l'amour fraternel; comme ses trois assassins sont la personnification des trois vices principaux qui corrompent les hommes : l'ambition, l'égoïsme et la duplicité. Il représente le principe du bien, et les trois mauvais compagnons le principe du mal.

Le grade de maître bien compris, bien exécuté, doit produire un effet saisissant, non seulement sur l'assistance, mais encore sur le récipiendaire. Chacun peut se pénétrer de ces mots que l'initié aux grands mystères d'Isis lisait à la fin de ses épreuves, mois conservés dans un grade et inscrits sur le sarcophage d'Hiram : « Quiconque aura pu vaincre la frayeur de la mort, ayant son âme préparée à recevoir la lumière, pourra sortir du sein de la terre et être admis à la révélation des grands mystères. »

Le rituel ancien était incomplet; c'était une espèce de canevas que ses auteurs avaient remis aux loges, dans la pensée que leurs vénérables sauraient le remplir convenablement. Malheureusement la plupart des officiers chargés de conférer le grade, lisaient bien ou mal, et suivaient aussi ponctuellement que possible le cahier ouvert sous leurs yeux. Il n'y avait donc et ne pouvait y avoir ni attrait, ni émotion. On assistait à cette cérémonie par obligation, et le récipiendaire, pour se décorer du cordon bleu et payer son titre. Un F.-, vint qui voulut corriger ce mal et qui dépassa son but. De l'allégorie d'Hiram, il fit un drame de théâtre. Il parla aux yeux et non au cœur ; il fatigua l'oreille par des discours emphatiques, et ne produisit qu'un résultat négatif. Le grade de maître est donc à créer, ou du moins à réformer. II faut espérer que quelque F. •. entreprendra bientôt cette tâche et la mènera à bonne fin.



QUATRIÈME GRADE, OU MAITRE SECRET.

Nous avons considéré le grade de Maître comme un épisode dramatique de la vie humaine ; Hiram, comme le symbole du bon principe, et les trois mauvais compagnons, comme les représentants du principe du mal. Au quatrième degré, l'action continue et se développe lentement sous le voile de l'allégorie.

La scène représente le sanctuaire, ou le saint des saints. C'est dans ce lieu sacré, séparé de la nef par une baluslrade dont les lévites avaient seuls la clé, qu'était placé le tombeau d'Hiram, élevé par Salomon. Sous la voûte du temple, est un G radieux, entouré des attributs de la divinité. Au premier abord, on est tente de voir dans le sanctuaire du temple consacré aux mânes d'Hiram , le symbole des plus secrets mystères de la science théogonique, mystères auxquels les lévites seuls étaient initiés. Mais le F.°.Vassal , dans son Cours complet de Maçonnerie, y voit de plus hauts enseignements.

« Le sanctuaire du temple, dit-il, représente la conscience de l'homme ; c'est la partie la plus concentrée de son être ; elle peut seule concevoir la grandeur et l'immensité de Dieu. La balustrade représente la raison qui préserve la conscience des funestes effets des préjugés vulgaires et fanatiques. La clé du sanctuaire, est le symbole de l'intelligence, qui, en éclairant la conscience, permet à l'homme d'arriver jusqu'à la vérité, qu'il concentre en lui-même dès qu'il en a la conviction la plus intime ; d'où il résulte que la conscience, figurée parle sanctuaire, est, comme le saint des saints, un asile sacré où personne n'a le droit de pénétrer.

» La lettre G qui orne la voûte du temple, signifie Gloire, Grandeur, etc. »

L'institution de ce grade est attribuée à Salomon , qui fut initié aux grands mystères grecs, où il puisa les connaissances philosophiques qu'il allia plus tard aux sciences morales et religieuses des Hébreux.

Les adeptes qui ont vu dans Hiram la personnification de Jacques Molay, et dans le grade de maître, la commémoration de sa mort, retrouvent au quatrième degré la continuation de l'allégorie. Le tombeau renfermé dans le sanctuaire, est celui du grand-maître, etc.


CINQUIÈME GRADE, OU MAITRE PARFAIT.

Ce grade est si étroitement lié à celui qui précède, que l'on peut croire qu'ils furent les deux parties d'un même tout.

Le tombeau que Salomon avait fait élever dans le saint des saints, en l'honneur d'Hiram, fut ensuite transporté dans une autre partie du temple où se tenait le conseil privé du roi. Ce conseil, qui s'appelait Chapitre, était composé de trois membres, c'est-à-dire d'Hiram II, roi de Tyr, de Salomon et d'Hiram, architecte du temple. A la mort de ce dernier, le chapitre fut réduit à deux membres, et ce sont précisément ces deux personnages qui figurent au cinquième grade.

Lors de la translation dont nous venons de parler, les auteurs de l'obélisque, qui étaient tous des architectes distingués par leurs talents et leur mérite, furent admis au Chapitre, et ce fut dans ce conseil où se traitaient les plus hautes questions religieuses, philosophiques et législatives, que l'on pensa à venger la mort du maître, c'est-à-dire à rechercher ses assassins pour les livrer à la vengeance. Comme on le voit, la pensée qui a présidé à la création des grades d'Elus, commence à se dévoiler, et ceux qui ont reconnu dans Hiram l'ombre de Jacques Molay, pourront facilement justifier leur système. Mais, si nous ressaisissons le fil du sens mystique attaché au nom d'Hiram, nous arriverons à la découverte de la pensée morale que renferme le cinquième grade.

Nous avons dit qu'Hiram représente le génie du bien, et les trois mauvais compagnons le génie du mal; que dès lors, le tombeau d'Hiram doit être considéré comme la dernière limite posée entre le monde physique et le monde spirituel, comme une espèce de tabernacle où repose la table de la loi vivante. En continuant l'interprétation, dans le sens mystique, des symboles et des allégories qui composent le quatrième et le cinquième grade, la nef et le sanctuaire du temple, qui sont séparés par une balustrade, représenteront, le premier, le grand espace qu'occupe la foule, dont les connaissances sont circonscrites dans le cours de la vie matérielle, et le second, ou le saint des saints destiné aux lévites, le monde intellectuel réservé à un petit nombre d'élus. La translation du tombeau d'Hiram par les Maîtres parfaits, ou hommes d'intelligence, de cœur et de savoir, dans un lieu retiré, signifiera qu'il ne faut exposer, aux yeux de la foule, les hautes vérités théogoniques, philosophiques et sociales, qu'au fur et à mesure qu'elles peuvent être comprises. L'admission au conseil privé du roi des maîtres parfaits, représentera la marche du progrès. Les recherches auxquelles va se livrer le conseil pour découvrir les assassins d’Hiram , symboliseront les travaux des hommes d'intelligence et de génie, dont le résultat est l'émancipation de l'esprit.

Tel est, selon nous, le véritable sens que l'on doit donner aux symboles et aux allégories du quatrième et du cinquième grade, considérés comme institutions maçonniques. Mais, s'il faut les apprécier d'après la signification que les Templiers leur ont donnée, nous devons nous réjouir de les voir abandonnés. Nous en expliquerons les motifs au grade d’Elu.



SIXIÈME GRADE, OU SECRÉTAIRE INTIME.

Ce grade est comme une scène isolée, ou comme un épisode au milieu de l'action, qui semble relier plus ou moins étroitement entre eux les degrés symboliques. Il nous suffira de citer brièvement l'histoire étrange qui sert de base à ce grade, pour prouver son inutilité actuelle.

Le royaume que David avait conquis par la fronde, s'était bien augmenté en puissance et en richesses, lorsque la séduisante Abisaag fut donnée au saint roi pour réchauffer ses vieux ans. Cependant, de même que le prophète Nathan, qui n'avait pas trouvé les mains royales du vieillard assez pures pour élever un temple au Seigneur, Salomon ne jugea pas les trésors de son père suffisants pour entreprendre l'édification du temple. Il eut donc recours, comme nous l'avons dit, à Hiram, roi de Tyr, qui lui envoya de l'or, des cèdres et un architecte. En échange de cette libéralité, Salomon s'engagea secrètement à céder au roi de Tyr, après la construction du temple, plusieurs villes de son royaume. Lorsque le temps fut venu de prendre possession de ces villes, Hiram alla les visiter. Mais il les trouva dans un tel état de délabrement et de misère, qu'il pensa avoir été dupe de sa confiance au roi renommé par sa sagesse. Cédant à un sentiment de colère, il partit soudain pour Jérusalem, entra incognito dans le palais de Salomon, et pénétra jusque dans son cabinet secret sans avoir été vu de personne. Jocaber, secrétaire intime de Salomon, ayant entendu un grand bruit, et craignant pour les jours de son maître, ouvrit la porte du cabinet. Hiram, outré de cet acte d'indiscrétion, tira son épée pour en frapper Jocaber, mais Salomon arrêta la main homicide.

Des écrivains ont considéré ce grade sous divers point de vue, dans l'espoir de satisfaire leur exigence et leur amour-propre d'initiés. Mais leurs recherches et leurs interprétations ont été vaines. Ils n'ont pu trouver à l'histoire allégorique de ce grade d'autre but que celui de faire connaître au récipiendaire les dangers de la curiosité. Peut-être a-t-elle rapport aux accusateurs des Templiers, et représente-t-elle quelques faits particuliers qui nous sont inconnus. Dans tous les cas, considéré au point de vue maçonnique, ce grade est d'une nullité complète.


NEUVIÈME GRADE , OU MAITRE ÉLU DES NEUF.

La troisième série des grades maçonniques est composée du Maître Elu des neuf, du Maître Elu des quinze et du Sublime Chevalier Elu. Ils reposent sur le même fond, c'est-à-dire, sur une fable absurde.

L'idée qui a servi de base à ces trois grades était anti-maçonnique. Elle n'a pu sortir que du cerveau vindicatif d'un sectaire. Greffée sur la souche maçonnique, elle a produit des fruits bien amers pour notre institution. Depuis plus d'un demi-siècle, ses ennemis se sont servis des grades d'élus comme d'une arme terrible, dont ils lui ont porté des coups meurtriers. Lisez Barruel, Cadet - Gassicourt, Lefranc et les journaux soudoyés par la société de Jésus; toutes les calomnies dirigées contre notre institution, ont leur source dans les grades templiers. Les mots de vengeance et de mort qu'ils renferment, ont été diversement interprétés, et ont prêté matière à toutes sortes d'imputations.

Eh ! pourquoi conserver ces grades, nous dira-t-on ? Voilà précisément la question à résoudre.

Les maçons, pas plus que les autres membres de la société profane, n'ont embrassé la cause des Chevaliers du temple.

Ces derniers, à certaines époques, ont pu demander secours et protection à la franc-maçonnerie et s'abriter sous son toit; ils ont pu, dans le calme de la sécurité et dans l'ardeur de leur désir de refaire leur position perdue, créer des grades en rapport avec la situation de leur esprit, et vouloir en doter la franc - maçonnerie ; mais jamais celle-ci n'a dû les admettre comme complément de son existence. Seulement quelques adeptes peu orthodoxes, dans certains pays se sont revêtus, sans trop savoir pourquoi, du cordon à poignard, et cela surtout lorsque des réformateurs ont eu donné aux grades dont il s'agit une signification toute morale.

Du reste, nous espérons qu'un simple résumé de la fable sur laquelle repose ces grades, suffira pour attirer sur eux la désapprobation de ceux de nos frères qui n'ont point vieilli dans la routine, et qui se laissent toujours guider par le flambeau de la raison.

Nous avons vu, au grade de Maître parfait, que Salomon fit élever à Hiram un tombeau qui fut placé dans une salle séparée du temple, appelée Chapitre. Ce fut dans ce lieu que Salomon tint désormais ses conseils secrets. Or, au grade d'Elu des Neuf, Salomon préside son conseil, lorsqu'Hiram, roi deTyr, se présente sur les marches du trône pour demander vengeance de la mort de l'architecte du temple. Le président attend l'avis de l'assemblée qu'il a consultée, lorsqu'un grand bruit se fait entendre. Un inconnu est arrivé clandestinement jusqu'à la porte du Chapitre, où il veut pénétrer, malgré les gardes, pour faire une confidence à Salomon. Ce dernier, qui, dans le septième grade, donnait une leçon de sagesse et de modération au roi de Tyr, en arrêtant sa main homicide, s'oublie à son tour. N'écoutant que sa colère, il ordonne à ses gardes de sacrifier sur-le-champ aux mânes d'Hiram, l'intrus qui a voulu surprendre les secrets du conseil. Mais le roi de Tyr, qui est maintenant le plus sage, émet l'avis qu'au lieu de livrer cet inconnu à la mort, on le fasse introduire dans le Chapitre, les mains liées, les yeux couverts d'un bandeau, et qu'il soit entendu. Cette proposition est adoptée, et l'inconnu paraît devant le conseil.

Salomon lui demande quels sont les motifs de sa démarche. Il répond qu'il a découvert la demeure de l'un des meurtriers d'Hiram, et qu'il vient la faire connaître au roi.

Salomon, après avoir consulté le Chapitre sur les mesures à prendre dans cette circonstance, met dans une urne les noms des membres qui le composent, et les neuf premiers élus par le sort, sont envoyés au lieu indiqué par l'inconnu pour s'emparer de la personne du meurtrier.

Jocaber, — Joaben, suivant le rite français,— secrétaire intime de Salomon, est nommé chef de l'expédition. Elle sort de Jérusalem pendant la nuit, marche au milieu des ténèbres par des chemins inconnus et difficiles jusqu'aux environs de Joppé, où elle arrive avant l'aurore. Jocaber, impatient et sans doute guidé par un génie vengeur, devance ses compagnons, s'enfonce dans les ravins, au milieu d'énormes rochers et d'affreux précipices. Il brave héroïquement tous les obstacles de la nature, et échappe, comme par miracle, à mille périls. Enfin, il aperçoit, — probablement à la clarté d'une étoile miraculeuse, — au fond d'un précipice, un chien qui se désaltère à une source d'eau vive. L'animal se tait et disparaît derrière un buisson, d'où s'échappent quelques rayons de lumière. Jocaber s'avance hardiment, et découvre une caverne derrière le buisson. Il y pénètre et aperçoit Abiram, l'un des meurtriers du maître, étendu sur le sol, se livrant aux douceurs du sommeil. Une lampe est allumée à côté de lui, et un poignard s'est échappé de sa main. Judith avait à traverser une armée ennemie, à tromper la surveillance des gardes d'Olopherne pour accomplir son projet; mais Abiram est seul, endormi et sans défenseurs... Allons! courageux et loyal Jocaber, ministre du plus sage et du plus juste des hommes, la victime est prête! ramasse ce poignard! Pour punir le meurtre, fais-toi meurtrier! Allons, frappe ! C'est bien! Le sacrifice est achevé... le sang coule en bouillonnant du sein de ta victime ; la pâleur de la mort s'étend sur son visage et décolore ses lèvres; ses membres se raidissent ; un dernier râle s'échappe de sa bouche... Omne consummatum est !

Mais, ce n'est pas assez de préméditation, d'horreur et de lâcheté ! Coupe la tête d'Abiram, et emporte-la comme un glorieux trophée, à ton royal maître qui te récompensera. Tes compagnons te rejoindront plus tard pour être témoins de ton triomphe!...

Ainsi s'accomplit la mission des Neufs Elus, ou plutôt de l’Elu des Neuf. Triste et honteuse histoire que notre plume a retracée avec autant d'exactitude que de dégoût. Maintenant, nous le demandons à nos lecteurs, les ennemis de notre institution n'ont-ils pas beau jeu, lorsqu'ils ont à leur service de telles armes contre elle ?


DIXIÈME GRADE , OU ILLUSTRE ÉLU DES QUINZE.

Salomon est averti par un de ses intendants qui vient de parcourir le pays de Geth, que les deux autres meurtriers d'Hiram se sont retirés dans cette contrée. ll choisit donc cette fois quinze Elus, au nombre desquels sont les neuf de la première expédition, et les envoie au roi Maacha, avec une demande d'extradition des deux criminels, nommés Sterkin et Oterfus, désignés sous d'autres noms au grade précédent.

Maacha donna aux envoyés de Salomon des guides pour les diriger dans la recherche des deux coupables. Après bien des courses inutiles et des fatigues sans nombre, ils parvinrent cependant à les trouver dans une carrière de BenDicat. Ils s'emparèrent d'eux, les chargèrent de chaînes et les conduirent à Jérusalem, où Salomon ordonna qu'on les mît dans les cachots d'une tour nommée Hésar, pour les livrer le lendemain à la mort la plus cruelle ; ce qui fut exécuté à dix heures du matin. Ils furent attachés à drux poteaux par les pieds et le cou, les bras liés derrière. On leur ouvrit le corps depuis la poitrine jusqu'aux parties génitales, et on les laissa de cette façon à l'ardeur du soleil l'espace de huit heures. Les mouches et les autres insectes s'abreuvèrent de leur sang. Ils faisaient entendre des plaintes si lamentables, que leurs bourreaux furent émus de compassion, ce qui les obligea à leur couper la tête. Leurs corps furent jetés hors des murs de Jérusalem pour être livrés aux bêtes féroces. Salomon ordonna ensuite que les tètes des deux criminels fussent, comme celle d'Abiram, exposées hors de la ville, sur des pieux, dans le même ordre que les meurtriers s'étaient placés dans le temple pour assassiner Hiram, afin de donner un exemple à tous ses sujets, et particulièrement aux ouvriers maçons.

Ainsi, voilà l'un des premiers principes de l'ordre social : « Nul ne peut se faire justice à soi-même, » foulé aux pieds par une institution établie sur les bases de l'équité et du progrès ! Voilà la délation, l'assassinat, la haine et la vengeance, la cruauté et la barbarie, honorés par des hommes aimant la justice, la douceur, l'honneur et la vertu !

Dans la refonte des grades, en 1786, le Grand-Orient , au lieu d'effacer de l'ancien rituel tous ces grades, sans même en conserver le souvenir, les résuma dans un seul sous le titre d'Elu SECRET; c'est celui qui figure dans le rite français. Les réformateurs essayèrent de modifier l'historique que nous avons retracé, de moraliser l'action du héros ; mais en lui ôtant son caractère odieux, ils ne parvinrent qu'à le rendre ridicule. Dans ce grade, le nombre des Elus est réduit à sept, sans doute pour rendre hommage à ce chiffre mystérieux. Jocaber, se nomme Joaben. Lorsqu'il se présente dans la caverne, il trouve mort le meurtrier d'Hiram. Il n'a donc plus le motif de s'écrier en le voyant : Nekam! c'est-àdire vengeance ! puisque le meurtrier s'est fait justice à lui-même en se poignardant. Il a encore moins raison de détacher la tête du cadavre.

Voici comment le F.-. Vassal, qui fut l'un des officiers les plus éclairés et les plus distingués du Grand-Orient, disait du grade d'Elu, il y a plus de vingt ans, dans son Cours complet de maçonnerie :

« L'Elu ne doit plus figurer parmi les grades maçonniques que comme historique, et le Grand-Orient doit interdire aux Chapitres de conférer un grade qui flétrirait et ferait abhorrer l’ initiation. »

Le Grand - Orient a laissé les Chapitres suivre son rituel sans leur donner aucun avis, sans leur faire aucune recommandation. Fort heureusement, beaucoup ont trouvé dans leur intelligence et dans leur droiture, le moyen d'abandonner ce grade. Ils n'ont fait que le communiquer aux récipiendaires Rose-Croix. C'est encore trop; il faut qu'il soit entièrement oublié.


ONZIEME GRADE, OU LE SUBLIME CHEVALIER ÉLU.

Ce grade est le dernier conservé de la nombreuse série de ce nom; il est le complément des deux qui précèdent. C'est à Salomon qu'est encore attribué sa création.

Pour être admis à ce grade, il faut prouver qu'on a puni tous les traîtres...

Cette obligation , aussi banale que ridicule. ressort du reste de l'historique du grade.

Salomon, après avoir vengé les mânes d'Hiram, voulut récompenser les quinze élus qui avaient été à la recherche des meurtriers. ll confia au sort le soin de désigner douze d'entre eux pour leur donner, en récompense de leur « noble action », le gouvernement de douze tributs. Il leur communiqua en outre les manuscrits renfermés dans le tabernacle, et les tables de la loi écrite par Moïse sur le mont Sinaï. Pourquoi Salomon, après avoir confié à quinze personnes, les plus éclairées de son royaume un office, digne d'agents subalternes, n'en récompensa-t-il que douze? L'historique se tait sur ce fait, qui a, du reste, motivé un autre grade d’Elus, dans lequel ne figurent que douze personnages. Le reste du grade est d'une incohérence et d'une invraisemblance telles, que nous renonçons à en parler.

Somme totale, ce grade est aussi nul sous le rapport de l'instruction, qu'il est contraire à la véritable morale.

Le signe du grade, qui est à peu près celui de rose-croix , signifie que le récipiendaire doit porter constamment une croix pour lui rappeler ses fautes pardonnées.